CHAPITRE IX : PHOTOS-SOUVENIRS

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— En fait, je n'ai rien à te montrer Mona.

Je venais de mettre mes pieds hors de la concession. On pouvait encore percevoir au loin l'écho des tam-tams, les chants des femmes. Était-il trop tard pour faire marche arrière ? Je n'aimais pas la mine sérieuse qu'Um venait de prendre.

- Que veux-tu dire ? répliquai-je en fronçant les sourcils, pour qu'il comprenne bien quoe je ne voyais pas où il voulait en venir.

- J'aurais aimé qu'il reste encore quelque chose à voir dans ce village. Mais il n'y a plus rien. Tout a été anéanti.

Sa phrase resta sans réponse pendant quelques minutes. Le vent siffla dans mes oreilles et fit tomber les feuilles noirâtres d'un arbre non loin de nous. Le soleil brillait fort maintenant. La chaleur qui montait me faisait presque fait oublier le froid tenace d'il y a encore quelques heures. Je mis ma main en visière au-dessus de mes yeux, pour me protéger des rayons, mais surtout pour reconsidérer ce que venait de m'annoncer Um.

- Comment ça anéanti ?

- Il se passe des choses, je ne peux pas... Suis-moi, tu verras de tes yeux.

Je n'avais pas compris grand-chose mais j'acceptai de suivre Um, l'air anxieux. Au fur et à mesure que nous avancions, je prenais des clichés. Je voulais conserver des preuves de ce que je voyais. Je devais me convaincre de la réalité de ce qui m'entourait. Je ne savais rien de ce qui se passait vraiment. Depuis la demeure familiale perchée sur des collines, personne ne pouvait s'imaginer ce qui se vivait à quelques mètres de nous seulement.

Nous traversâmes des habitations, des écoles, des plantations. Des champs dont les cultures avariées dégageaient une odeur repoussante, les pelouses jaunes, brûlées, les cours désertes, le feuillage mort sur les arbres et le vent qui soufflait fort, fort.

Je me stoppai devant une maison sans toit, qui semblait avoir été dévastée par un raz-de-marée. Je n'eus pas le courage de prendre une photo. Dans la cour, des hommes s'affairaient à regrouper des tôles pour constituer ce qui remplacerait le toit perdu. Ma bouche allait s'ouvrir, mais je reçus une réponse bien plus vite.

- Il y a trois jours de cela, l'harmattan a parcouru le groupement, déracinant des arbustes, arrachant des toitures.

Je sentais que le récit d'Um n'était pas terminé, alors je ne l'interrompis pas avec une question. Mes yeux demeuraient collés à la maison sans toit. La femme qui me semblait en être la propriétaire était assise, le dos rond sur un tabouret de bois, la main soutenant sa tête lasse. Non loin d'elle sautillaient des bambins, ses fils peut-être, inconscients du malheur qui venait de frapper leur famille. Mais surtout inconscients, comme leur mère, de la raison d'un tel malheur.

- Au début, ce n'était qu'une pluie nocturne comme on en connaît parfois en saison sèche. Mais un vent comme celui-là, même dans la plus froide des nuits de saison pluvieuse Mona, on en a jamais connu.

Alors qu'il me regardait en parlant, Um détourna subitement le regard vers l'horizon avant de continuer :

- L'harmattan souffle ici chaque année entre novembre et mars. Mais étrangement, il s'est fait sentir cette fois. Ce n'est pas la seule maison dont le toit a cédé, il y en a une trentaine dans tout le groupement.

- Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? Ça s'explique tout ça ?

Là, je ne faisais plus appel à mon ami d'enfance. Je ne voulais pas son avis de riverain, son commentaire empreint d'émotion. Je voulais que ce soit l'étudiant en géographie physique qui me réponde. Je voulais son regard scientifique, rationnel sur la chose.

- Je veux bien reconnaître que le réchauffement climatique intensifie la plupart des phénomènes naturels dans le monde, mais des arbres qui se meurent, des cultures qui pourrissent sans avoir atteint la maturité, même le climat peine à être maîtrisé, ça m'inquiète.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant