CHAPITRE I : MAMIE MADO

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  «Chers passagers, nous vous annonçons que nous approchons de l'aéroport international de Douala. La compagnie aérienne Air France vous remercie pour la confiance placée en elle tout au long de ce voyage, et vous souhaite un agréable séjour au Cameroun !»

   Je sursaute à l'écoute de la voix de l'hôtesse de l'air. Il faut croire que je sursaute beaucoup ces derniers temps. Trois jours avant, c'était à cause de la sonnerie de mon téléphone portable. J'avais reçu un appel de ma mère, qui décidément ne maîtrisait toujours pas la notion de fuseau horaire. Autrement, elle ne me réveillerait pas d'un coup de fil à onze heures du soir.

   Je l'avais senti hésitante, comme si elle ne savait pas quel mot employer. Comme si elle cherchait celui qui me ferait le moins de mal. Finalement, elle m'avait annoncé la terrible nouvelle. Ma grand-mère venait de mourir.

   Sur le coup, j'avais senti mon cœur se contracter. Plus qu'il ne s'était jamais contracté auparavant. Je connaissais trop bien cette étrange sensation de ne plus pouvoir contrôler ma respiration, mon rythme cardiaque. Les conseils de mon ancien enseignant d'éducation physique et coach s'étaient finalement perdus.

   Depuis ma chambre au troisième étage, faiblement ventilée par le mouvement des feuilles d'arbre au dehors, j'ai cru voir le monde autour de moi s'écrouler. J'ai repoussé l'oreiller avec lequel je m'étais couverte le visage dans mon sommeil. Ma grand-mère était donc finalement partie vers ce monde si mystérieux, avec lequel elle m'a toujours tant semblé en contact.

   Je la savais malade. Depuis plus de dix ans, ma grand-mère, que nous appelions tous Mamie Mado, diminutif de son véritable prénom Madeleine, souffrait d'une infection pulmonaire. Une infection qui lui ôtait chaque jour un peu de son souffle de vie. «Une mauvaise grippe»nous avait-elle dit lorsque cela avait commencé. La grippe avait apparemment été pire que ce qu'elle pensait, elle l'avait tué.

  Je crois surtout que ce sont toutes ces années passées près du feu indomptable de bois à vendre des beignets, ou à simplement préparer à manger pour les siens, tout en absorbant des quantités inimaginables de fumée, qui ont fini par lui coûter cher.

   Nous avions tout fait pour tenter de la guérir, les médecins aussi. Mais il est impossible d'aider quelqu'un, qui au fond ne veut pas se faire aider. Ma grand-mère suivait un traitement, prenait régulièrement ses comprimés, ne ratait pas une seule visite médicale.

   Mais il lui manquait ce petit truc que possèdent toutes les personnes malades : le désir de recouvrer la santé. Qu'il soit fort ou à peine marqué, il est présent en chaque patient, c'est lui qui accompagne le pouvoir des
médicaments. Ma grand-mère ne l'avait pas. Elle espérait, même si elle ne l'a jamais formulé ainsi, que ce soit cette maladie qui l'ôte de ce monde, où elle disait avoir trop séjourné. Elle n'avait aucune pensée suicidaire, n'exagérons pas.

   « Je ne suis pas de celles qui s'accrochent inutilement à la vie, à ce monde et aux choses qu'il abrite. Il faut savoir foutre le camp quand il en est temps. Laisser la place aux autres, parce que personne n'est là éternellement», m'avait-elle un jour avoué, d'une voix rendue peu audible par le tube d'incubation. Dans sa chambre froide et quasi vide de l'Hôpital Général de Douala, le visage blanc, le teint sombre, le bras figé par la perfusion, elle m'avait souri comme si c'était la dernière fois qu'elle le faisait. Et c'était la dernière fois que je la voyais.

   À l'approche du mois de juin, toute la famille s'attendait au pire. La maladie redoublait toujours d'intensité durant ce mois-là. Peut-être parce que celui-ci annonce au Cameroun le début de la saison pluvieuse, qui s'étend jusqu'au mois d'octobre et qui apporte avec elle un froid intense, des nuages grisâtres et des orages nocturnes.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant