CHAPITRE X : LE DUO DE TOUJOURS

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   Les paroles de maman Rosa me restent encore en mémoire, sonnent comme un écho dans ma tête, alors qu'Um et moi avons déjà quitté sa maison. Nous marchons en silence, lui devant, les poings serrés. Il est gêné, je le sens, je le sais. Il aurait voulu que notre promenade se termine d'une meilleure manière. Il aurait surtout voulu m'épargner une des «crises» de sa mère. Il ne m'a pas semblé étonné, ce qui signifie qu'il y a bien longtemps que sa mère n'est plus la même.

   C'était un code. Ses propos étaient un code. J'en ai du moins l'impression. Il y a quelque chose dans ce qu'elle a dit que je ne parviens à saisir. La magicienne, la fille de la magicienne... Je ne devrais pas accorder d'importance aux propos d'une femme malade, affligée physiquement et mentalement. Mais maman Rosa m'a semblé avoir quelque chose à avouer.

   Lorsque nous empruntons la route qui nous ramènera dans la concession Zebaze, le soleil se couche déjà. En quittant cette partie du globe, il emporte avec lui toute la lumière, dessinant à l'horizon une ligne orange qui témoigne de son départ. Tandis qu'après lui, demeurent des nuages grisâtres et massifs et que déjà se pointent de minuscules étoiles scintillantes, dont la lumière grésille.

— Je suis desolée pour ta mère, pour ce qu'il lui est arrivé, chuchotai-je à Um, parvenant enfin à arriver à sa hauteur, à rattraper ses pas de plus en plus rapides.

— Tu n'as pas à l'être, tu n'as rien fait, me rassure t-il en esquissant du coin des lèvres un sourire gêné. Tu nous as rendus visite le mauvais jour. Il y en a pourtant des bons, durant lesquels elle recommence même à chanter, fait le ménage, cuisine ses mets préférés. Mais il y en a des mauvais, et là, elle s'enferme dans sa chambre, faisant passer en boucle des chansons Gospel. Des jours où elle pleure, crie, supplie. Des jours où elle parle à mon père, à Dieu ou tout simplement, à elle-même.

— Et ça lui arrive de parler de la «fille de la magicienne» ? Pardon mais j'ai trouvé ça tellement étrange.

— Ce nom revient souvent oui, mais n'essaie pas d'y réfléchir, ma mère dit beaucoup de choses incompréhensibles. De toute façon, qui croit encore à la magie et à la sorcellerie aujourd'hui ?

— Certainement pas moi, d'où le fait que ça m'intrigue autant, répondis-je en fronçant les sourcils dans un rire moqueur.

   J'étais catégorique sur le sujet. La sorcellerie n'existe que pour ceux qui y croient. Tant que les humains mettront leur foi en un objet, un concept, soit-il minuscule et futile, ils lui donneront du pouvoir. Tout commence par la foi, il faut croire pour que tout prenne forme. Jésus-Christ existe parce que les chrétiens y croient, Mahomet existe parce que les musulmans y croient.

   Et c'est le même principe pour toutes les croyances de la planète. Il suffit de croire. Alors si la magie existait et continuait d'exister, c'était parce que des gens y croyaient. Alors il suffirait qu'il n'y ait plus de croyance, pour qu'il n'y ait plus d'existence. C'est donc à chacun de voir ce qu'il veut faire de sa foi.

   Au moment où nous atteignons la concession familiale, le spectacle dans la cour s'est achevé et a été très vite remplacé par de nouveaux préparatifs. Cette fois, femmes comme hommes participent. Une odeur de viande braisée émane d'un coin de la cour. Les enfants parmi lesquels le petit Manu, dont le short rougi par la terre, jouent tout autour des marmites fumantes. Ils défient de leurs rires, la musique cette fois moins folklorique et plus moderne, diffusée par les bafles.

   Mandela me fait un signe de la main depuis la véranda. Il tient de sa main gauche un couteau ensanglanté. Je suis surprise de le voir mettre la main à la pâte, mais avant que je n'aie pu me diriger vers lui, je constate l'absence d'Um derrière moi

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant