Du feu. Du feu sur la colline. Du feu dans les arbres. Du feu au milieu des herbes. Du feu sur la colline. Du feu partout. Je vois du feu partout. Je vois des gens se faire brûler, je les entends hurler, je sens leurs peaux griller.
Je vois Mahsa au centre de ce carnage, je vois Mahsa. Non, ce n'est pas elle, ce n'est pas vraiment elle. Elle porte un masque. Le même que la dernière fois, j'en suis sûre. C'est bizarre. Le feu ne l'atteint pas. Elle ne brûle pas. Elle se tient debout bien droite, elle me regarde à travers le masque. Qu'est-ce que elle fait ? Elle essaie de retirer le masque. Elle l'a retiré. Maintenant, elle me le tend. Il dégouline de sang. Elle insiste, elle s'avance vers moi. Je finis par le prendre. Je le regarde, je le fais tourner dans mes mains. Le bois est sec, la couronne est pointue, les lèvres sont bombées. Je crains de ne plus pouvoir respirer une fois que j'aurais mis le masque. J'ai peur. Je mets le masque. C'est étrange d'observer un monde si grand avec de si petits yeux. Ma respiration me revient à la figure. Il fait chaud derrière ce masque.
Le feu n'avance pas. Il stagne. Il a déjà brûlé tout le monde, tout le monde sauf Mahsa et moi. Elle est du côté des flammes, mais elle n'a pas peur. Elle ne bouge pas. Quelque chose m'a piqué au ventre. Ça fait mal. Serait-ce le feu qui a fini par arriver jusqu'ici ? Je baisse les yeux. Il y a une tâche sombre sur mon ventre. J'ai encore mal. Je m'écroule à genoux. J'ai de plus en plus mal. J'appelle à l'aide. Je tends les mains vers Mahsa, elle n'est plus là. J'ai toujours mal. Je crie, mais je n'entends même pas ma propre voix. C'est trop dur, je craque. Je pleure. Je veux me réveiller. Je tourne la tête sur mon oreiller. C'est le geste qui me sauve. Le rêve s'achève.
J'ouvre les yeux. La sueur est collée à mes tempes. J'entends mon cœur battre. Je veux essuyer ce que je crois être de la salive autour de ma bouche. À la place, j'essuie des larmes. Mon oreiller est trempé, mes joues humides. J'ai pleuré, autant dans mon rêve qu'en réalité. C'est la première fois que cela m'arrive. Je fais le tour de ma chambre des yeux. Ma porte que je suis sûre d'avoir entendu Miriam la fermer, est grande ouverte et donne sur le couloir. Les derniers rayons de soleil viennent s'échouer sur les oreillers de mon lit. La fenêtre est fermée, mais les rideaux sont attachés de manière à laisser pénétrer grandement la lumière, à défaut du grand air. Je jette un regard désolé sur ma petite valise garée dans un coin, à moitié refermée telle que je l'ai laissée ce matin.
J'efface les larmes sur mes joues et me lève résolument. Mais je suis arrêtée net au seuil de la chambre. Arrêtée par le silence de la maison. Je n'entends aucune voix, aucun mouvement, rien de ces tous ces bruits que font naturellement les êtres humains. Je remarque toujours en restant sur le seuil, que ma chambre n'est pas la seule pièce de la maison à avoir été laissée grande ouverte. Je frissonne à l'idée de savoir que j'ai dormi si longtemps, tandis que la maison était ouverte de partout. Il y a de la terre rouge au couloir, plus que ce que nos sandales traînent un peu partout dans la maison. Un peu comme si quelqu'un était entré précipitamment sans passer par l'essuie-pied.
Je lance un appel dans le vide. Aucun des noms ne trouve de résonance. Il n'y a personne. Je ne m'étais pourtant pas endormie longtemps. Après qu'Um soit parti dans l'après-midi, j'étais restée un instant assise sur le long banc de la véranda. J'avais fini par m'y assoupir et c'était Mandela qui m'avait réveillé en insistant fermement pour que j'aille me coucher dans ma chambre. Mais je mourrais de faim, et c'était ce qui m'empêchait justement de dormir à poings fermés.
J'avais pris une douche, enfilé une robe à manches perdues. Blanche à rayures bleues, dépassant mes genoux, mais dévoilant mon buste sans bijoux. Miriam qui s'était chargée de la cuisine, m'avait servi un plat de pilé de plantains mûrs, que j'avais englouti en réalisant que c'était mon premier repas de la journée. Miriam avait rigolé, je mangeais comme une condamnée à mort. Je mangeais comme si c'était la dernière fois que je le faisais.
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Le Masque Ensanglanté
Mystery / Thriller«Grand-mère est morte, il faut que tu rentres.» Il n'a pas fallu en entendre plus pour que Mona Lisa fasse ses valises et se décide à rentrer au terroir, après trois années passées sur le Vieux Continent. Le Cameroun qu'elle retrouve à son arrivé...