CHAPITRE XV : SUR LES TRACES D'UNE EXILÉE

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— Je veux bien t'aider. Seulement, j'ai une question à te poser.

   Les mots étaient sortis de sa bouche lentement. Ses yeux fixaient toujours le soleil derrière la fenêtre close du salon, que des rayons traversaient pour illuminer de part et d'autre la pièce. Um n'oserait pas me regarder. Mais ma main qui serrait la photo trouvée dans l'armoire se détendit instantanément. Mon cœur cessa sa course dans ma poitrine. Ma respiration reprit son rythme habituel. J'étais soulagée pourtant, il n'avait pas encore donné de réponse. Ce n'était pas encore un oui, mais ce n'était sûrement pas un non. Il voulait m'aider, il le ferait. Je pliai discrètement la pellicule et la glissai dans la poche de mon jean.

— Je t'écoute Um, acquiesçai-je d'un mouvement de la tête, tu es en droit de poser toutes les questions.

— Pourquoi moi ? Pourquoi venir me raconter toute cette histoire et me demander mon aide ? Pourquoi pas à ta famille ?

— Parce qu'en dehors de ma mère, personne d'autre ne sait ce qui s'est passé ce soir-là.

  Avant de continuer, je m'arrêtai un instant et soupirai car je savais que ce n'était pas la seule explication.

— Et c'est aussi parce qu'il me semble évident que ma mère ne veut pas que je cherche à comprendre ce qui s'est passé, avouai-je finalement dans un effort de sincérité. Elle m'a convaincu de n'avoir rien vu cette nuit-là, et hier encore. Elle fera tout pour m'empêcher d'y penser. Jusqu'ici, je refusais de l'admettre mais... Je crois que ma mère ne veut pas que je découvre ce qui s'est passé.

— Et pour quelle raison d'après toi ? continua t-il perplexe.

— Je ne sais pas, je ne sais pas Um. Pourtant, j'aimerais savoir. Oui, j'aimerais tant savoir. C'est pour cela que j'ai besoin de ton aide.

   C'était un mensonge. Bien-sûr que je savais pourquoi ma mère tenait tant à occulter cette histoire de nos vies. Mon cœur ne l'admettrait pas d'aussitôt, mais mon cerveau avait déjà compris. Soit ma mère refusait d'admettre que son enfant ait pu dire la vérité ce soir-là et qu'elle ait pu se tromper, soit elle était impliquée dans cette affaire. Impliquée d'une manière ou d'une autre. Et cette idée me faisait terriblement peur, alors je refusai de la formuler en face d'Um.

   Je chercherais des preuves, mènerais mon investigation, et si finalement, mes recherches s'achevaient sur elle, je la confronterais. Oui, je confronterais ma propre mère. Je veux la vérité, peu importe qui elle devra me coûter. J'ai déjà sacrifié trop d'années, trop de nuits cauchemardesques, trop de matinées hantées, de crises d'anxiété, de culpabilité.

   Mais avant de confronter ma mère, j'avais quelqu'un d'autre à rencontrer. Une personne clé qui pourrait à elle seule élucider tout ce mystère. Mais où la trouver ? Où te caches-tu Mahsa ? Montre-moi le chemin jusqu'à toi, laisse-moi des indices, je saurais les comprendre. Accorde-moi une chance de te parler ou peut-être de t'écouter. Avec le silence que tu as gardé tout ce temps, tu dois avoir tant à raconter. Si tu savais, si tu savais comme je suis désolée.

   Une voix sobre et féminine s'échappe du poste récepteur de l'appartement et me sort de mes pensées. C'est le flash d'information de seize heures. Le temps passe vachement vite quand on se confesse. Je suis d'une oreille distraite tandis qu'Um semble être plutôt absorbé. Il a mine sérieuse, il réfléchitIl ne m'a pas répondu et maintenant, il semble accorder toute son attention aux tristes nouvelles de la journée.

   Le cadavre mutilé d'une jeune femme a été retrouvé par les forces de police dans les caniveaux d'un quartier de Douala. Le sixième meurtre féminin ce mois. Je déglutis sèchement. Je me souviens de la première fois où j'ai lu le mot féminicide. Avec ma sœur, nous regardions souvent ces documentaires regroupant des affaires criminelles, comme il en passe beaucoup à la télévision. Le mot m'avait semblé venu de loin, complexe, européen. Aujourd'hui, c'est ce mot que la journaliste dont la voix résonne dans l'appartement, a utilisé. La mondialisation ne nous apporte pas que du développement, mais aussi la dose de criminalité qui va avec.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant