CHAPITRE XVIII : PRÉQUEL DE NOTRE HISTOIRE

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— Oncle attends, le métier de guérisseuse est-il une raison suffisante pour bannir quelqu'un de la société ?

  La question d'Um me sort de ma torpeur. Je ne sais plus combien de temps j'ai passé dans les nuages, à voir défiler des moments de ma vie, des souvenirs. La rencontre des parents est la genèse d'une famille entière. C'est la première histoire qui est racontée aux enfants, l'histoire d'amour dont les enfants entendront toujours parler, celle qu'ils garderont en mémoire une fois confrontés eux aussi à l'Amour. J'apprenais à l'instant que celle qui m'avait été contée, était aussi imaginaire qu'un conte de princesse Disney. Et je ne pouvais même pas exprimer mon malaise, par peur d'interrompre la seule personne capable de me raconter la véritable histoire.

   Heureusement pour moi, j'ai Um dont les questions pertinentes permettent au moins de participer à cette conversation. Je me contente d'écouter silencieusement, comme une fidèle écoutant l'homélie du prêtre. Toutes ces informations reçues en quelques minutes, que mon cerveau essayé de relier les unes aux autres dans un puzzle improbable. Des mots-clés que je note. Wangari, Descendante, La magicienne, Enfance, Bon Appétit, Amitié, En couple, Université de Dschang, Guérisseuse.

  Le notable remue la tête avant de répondre, et mon regard qui s'était perdu dans la paperasse de son bureau, se redirige vers lui.

— Non mon fils, jamais de la vie ! C'est l'un des métiers les plus nobles de nos sociétés, mais aussi et malheureusement, l'un des plus incertains. Les guérisseurs ont un pied dedans et un pied dehors, comme on dit. Ils peuvent faire du bien ou du mal. Et je crois que l'on conçoit mieux l'erreur du médecin de la ville, que l'inexactitude du guérisseur au village.

  «À la moindre gaffe, précise t-il le doigt tendu à la verticale, on le soupçonne d'être passé du côté obscur qu'il côtoie si bien. Et lorsque vous êtes une femme, vous êtes encore plus susceptible que n'importe qui d'autre. C'est là l'unique erreur de mon amie, d'être née femme et d'être née ici.»

— Vous voulez dire que, votre amie Wangari a commis une faute dans l'exercice de sa profession, si on peut appeler cela ainsi ?

— Bien-sûr que l'on peut appeler cela une profession ma fille, me sourit-il en inclinant légèrement la tête. Ne me vouvoie pas, appelle-moi Assa'a ou papa Senghor, ou Oncle comme le fait ton ami. Je commençais à te trouver trop calme pour une journaliste censée diriger cette entrevue.

« Mais pour revenir à ta question, oui. Wangari a manqué à sa tâche un jour en cinq ans et cela a suffi à la clouer pour de bon. L'affaire du petit Nelo. Vous devriez faire des recherches dessus, si jamais il y a encore de la matière à fouiller. La ville de Dschang avait eu droit à sa place parmi les faits divers d'un journal de l'époque. Un enfant de dix ans mort mystérieusement dans la cabane d'une guérisseuse. Ça ne suffit pas à exclure un individu de la société, fiston ? »

  La question adressée à Um nous fit frissonner tous les deux. Je le vis du coin de l'œil qui changeait de posture sur sa chaise. C'était horrible rien qu'à imaginer. Un enfant d'une dizaine d'années retrouvé mort dans les bras d'une guérisseuse.

— Cet enfant s'appelait Nelo, papa Senghor ? repris-je avec hésitation en usant de l'appellation qui me convenait le mieux.

— Oui, Nelo était le fils d'une maman célibataire du village. Il était malade depuis sa naissance. Certains pensaient qu'il était victime de malchance. D'autres croyaient qu'il avait été «vendu» par son père, qui avait fui le foyer et le village après sa naissance pour s'enrichir à Douala.

   Il fallait être de mon pays pour comprendre ce que signifiait être vendu, tel que l'avait prononcé le notable. Vendre quelqu'un ici n'avait aucun rapport avec du commerce d'enfants, ou d'esclaves. C'était quelque chose de plus spirituel, plus sombre encore. Vendre quelqu'un ici, signifiait vendre son âme à des forces maléfiques en l'échange de quelques faveurs terrestres ou spirituelles, afin que celle-ci travaille à leur service. Une fois votre âme vendue, votre corps vidé de son essence errait sur Terre en subissant toute sorte d'atrocités, avant de succomber. Pour le commun des mortels, vous serez morts. Mais vous continuerez de travailler quelque part dans leur monde, au compte de ces forces maléfiques à qui vous avez été vendues.

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