CHAPITRE VIII : APRÈS LA MORT, LA VIE, LA VILLÉGIATURE

40 5 0
                                    

Les coups de pelle n'ont pas cessé depuis plus de dix minutes déjà. J'ignorais que ça prenait autant de temps pour refermer un trou. Désolée, mais je n'avais jamais assisté à un enterrement auparavant. Et je ne crois pas que ce soit le genre de choses à ajouter à la liste de celles que l'on voudrait accomplir dans une vie. Qu'y a t-il de bénéfique à voir quelqu'un mourir, si ce n'est de se rappeler que c'est aussi comme cela que nous allons tous finir ?

Lorsque mon grand-père est décédé, et même si je n'étais pas très grande à l'époque, nous avions tous fait le déplacement. Mais mon âge m'avait au moins évité l'inhumation. Je me souviens encore de ma mère, expliquant à sa belle-famille que j'avais tout juste treize ans. Je savais ce que c'était que mourir, mais on pouvait bien m'épargner d'en avoir une idée aussi précise.

Nous étions restés Mandela, mes cousines et moi, bien sages dans les canapés du salon, à attendre que se termine cette chose étrange et interdite qui se déroulait à l'arrière de la maison. Miriam qui était déjà une adolescente, avait pu assister à la cérémonie, mais ne nous l'avait jamais décrite. Elle profitait d'occasions comme celle-là pour nous lancer que c'était «des choses de grands», comme si elle-même faisait déjà partie de cette tranche.

Avec ma cousine Aretha, la curiosité nous rongeait. Nous entendions les soupirs des hommes qui creusaient la terre à l'arrière, ainsi que les pleurs de nos mères. Mais nous restions assises toutes les deux. Aretha toujours plus courageuse que moi, s'était finalement levée du canapé et s'était glissée sur la pointe des pieds dans une des chambres de la maison. Cette chambre, je l'avais deviné en suivant des yeux ma cousine, était la seule à avoir une fenêtre qui donnait directement sur le caveau familial.

Aretha venait de désobéir aux règles, en guettant derrière la vitre de la fenêtre close ce qui se passait dehors. Je ne la suivis pas, pour une fois. Elle la plus brave, elle la fille sans peur, elle qui trouvait toujours les meilleurs jeux, les idées les plus folles, les répliques les plus drôles. Ce refus d'adhérer à ce plan improvisé pour assister quand même à l'enterrement, symbolisait déjà à cette époque, la crainte que j'ai vis-à-vis de certaines choses, vis-à-vis de la mort en particulier.

Ne me demandez pas ce qu'est devenue Aretha aujourd'hui. Je ne sais que ce que ma mère dit, un soir, alors qu'elle était entrée silencieusement dans ma chambre et s'était assise sur le rebord de mon lit, pour me chuchoter ce qu'elle venait d'apprendre. J'étais à ce moment-là absorbée par un roman de Stephen King. Et si vous l'avez un jour lu, vous comprendrez bien comme c'est difficile de s'en détacher.

Aretha avait quitté le pays bien avant moi. À ses quinze ans plus exactement, à peine deux ans après le décès de Grand-père. Son père, aîné du mien, s'était ruiné pour faire partir du pays le seul enfant qu'il ait eu avec l'épouse dont il s'était depuis longtemps séparée. Aretha était son espoir, son étoile, comme la chanteuse dont elle portait le prénom.

Mais une fois sur la terre des blancs, la jeunette à qui on avait raconté toute son enfance qu'elle était une étincelle, avait fini par croiser plus brillants qu'elle. Et même son intérêt poussé pour les sciences et les mathématiques, lui valant ici toute l'admiration de notre famille, avait été égalée et pire, surpassée.

Aretha n'était plus la première de la classe, l'unique bébé de la maison. Parce que dans la famille de cet oncle au troisième degré, qu'auparavant elle n'avait jamais rencontré et chez qui elle avait dû s'installer, c'était avec trois enfants qu'elle se disputait de l'affection. Le courage et la confiance en elle que je lui connaissais avaient fini par la quitter.

Ce soir-là, ma mère m'expliqua que tandis que moi je préparais mon brevet de technicienne supérieure en Agronomie, ma cousine adorée avait convolé en justes noces avec un homme que personne ne connaissait. Elle n'avait que vingt-ans !

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant