CHAPITRE XVI : PAPA SANS MAMAN ?

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— Je te croyais en cure géographique pour les jours à venir. Ton appel me prend un peu de court.

— Ah... Oui c'est vrai que je voulais m'éloigner de mon portable durant toute la période de deuil. Mais c'est fini à présent. Mamie est en terre, et la vie doit bien continuer.

— Oui, t'as raison. La vie doit continuer.

   Je n'ai pas souvenir d'avoir déjà eu des discussions aussi platoniques avec Kanza. Quelle est cette gêne entre nous ? Nous échangeons sur des banalités lui et moi, comment nous nous portons, la météo ces jours-ci, l'actualité du pays, des salutations adressées à ma famille. Rien de profond. Et pour une fois, cela me dérange.

— Bon bah, je crois que je vais devoir te laisser Mona, finit-il par lâcher avec désinvolture, tandis que la gêne en moi se transforme en honte. Je suis de garde aujourd'hui, et j'aimerais bien me reposer avant de me rendre à l'hôpital.

— ...

— Mona ?

— Oui... Oui bien-sûr.

   Il ne se décide pourtant pas à raccrocher. Alors, nous restons en ligne pendant quelques secondes qui me semblent très longues. Le silence s'installe. Je n'entends plus son souffle, c'est comme s'il avait quitté le téléphone. Je me décide.

— Si jamais tu es toujours à l'autre bout du fil... Je voulais te dire que je suis désolée.

—...

— Je suis désolée de n'avoir jamais été à la hauteur de l'amour que tu m'as donné. Au final, nous sommes bien plus différents que tu ne le crois.

— Mona...

— J'ai toujours été trop perturbée pour t'aimer comme tu le méritais, poursuivis-je difficilement. Je suis hantée et j'aurais tant voulu t'en parler pendant toutes ces années. Mais je ne l'ai jamais fait, parce que je ne savais pas moi-même de quoi je souffrais. Aujourd'hui, je sais. Mais pour toi et moi, il se fait trop tard. Oui, toi et moi, ce sera dans une autre vie, où je ne serais pas celle que je suis. Désolée. Au-revoir.

   Et finalement, ce fut moi qui raccrochai. Je l'avais entendu prendre son souffle. Il s'apprêtait à me répondre avant que je ne coupe l'appel. Mais je n'étais pas prête à entendre cette réponse. Je ne mesurais pas encore l'ampleur de la décision que j'avais prise. Mais je savais une chose, je ne voulais plus mentir. Dans cette quête pour la vérité, je ne voudrais plus mentir à qui que ce soit. Surtout pas à moi-même. Le téléphone près de mon visage, je fermai les yeux et m'endormis presque immédiatement. À croire que j'avais sommeil depuis bien longtemps.

   J'avais passé une nuit sans rêve. Je craignais trop de revoir le masque. Je dormis à points fermés, sans laisser aucune chance à mon esprit de me ramener à cette clairière. Le lendemain, la sonnerie de mon portable me réveilla. C'était Um, qui avait obtenu un rendez-vous avec l'Assa'a. Je me redressai d'un coup. À onze heures, nous devions être lui et moi au lycée classique. J'avais trois bonnes heures devant moi.

   Après avoir choisi soigneusement la tenue que je porterais, une robe à mi-genoux, des ballerines et un sac à main plutôt qu'un sac à  dos, j'ouvris la porte fermée à clé la veille. La maison était calme, et je faillis penser que ma mère, mon frère et ma sœur étaient partis, sans me dire au-revoir. Je me dirigeai d'abord dans la chambre de Mandela, dont la porte était entrouverte. Un casque d'écoute aux oreilles, il fredonnait rapidement les paroles d'une chanson. J'aurais parié que c'était du rap. En me sentant entrer, il décala le casque de ses oreilles pour pouvoir me parler, et posa sur moi des yeux exorbités.

— Tu es encore en pyjama ? Le bus part dans deux heures, maman ne t'a pas dit...

— Je ne rentre pas avec vous. Je vais rester un peu.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant