CHAPITRE XXIII : PROMESSES

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— La mère de Kanza a appelé hier. Elle pensait que je le savais déjà. Mais non, ma fille ne m'avait pas dit qu'elle s'était séparée de son fiancé. Comment contenir ma surprise au téléphone ? J'étais embarrassée autant qu'elle.

   Ma mère se tut un instant, et consulta sa manucure, avec l'air de douter de ses ongles vernis de bordeaux. Elle se comportait comme si elle ne me voyait pas tenir ma joue, comme si elle ne venait pas de me réduire au silence, comme si elle attendait ma réponse pour continuer. Je resterais silencieuse, elle le savait.

— Mais ce n'est pas grave. Parce que tu vas rappeler Kanza. Lui dire que tu étais confuse, que tu n'annulerais vos fiançailles pour rien au monde. Je me charge de parler à sa mère.

   Elle leva la tête vers l'horloge, lut l'heure à haute voix avant de poursuivre sereinement :

— Il est quatorze heures donc quinze heures en France. Tu peux l'appeler tout de suite. Je te laisse lui parler tranquillement, okay ? Où est ton portable ?

— Non.

— Non ?

— Non, répétai-je froidement en laissant tomber ma main restée trop longtemps sur ma joue et en redressant ma tête tournée vers la gauche depuis la gifle. Je ne vais pas appeler Kanza, je ne vais pas revenir sur ma décision maman. Je ne l'épouserais pas. Il n'y aura pas de mariage.

— Autrement dit, tu me désobéis ?

— Je ne sais pas si c'est de la désobéissance pour toi. Mais ce que je sais, c'est que je ne compte pas mentir à ce garçon plus longtemps. Le masque doit enfin tomber maman.

  Je vis sa tête se pencher de gauche à droite dans un mouvement de désapprobation. Ses yeux se plissaient et sa bouche se tordait d'incompréhension. C'était les signes précurseurs. Le ton monta d'un cran.

— J'ai dit que tu allais appeler Kanza, j'ai dit que tu allais APPELER KANZA !

— Et moi, j'ai dit que je ne le FERAIS PAS ! SINON QUOI ? QUOI MAMAN ? QU'EST-CE QUI ARRIVE LORSQU'ON TE DÉSOBÉIT ? QUE FAIS-TU LORSQUE LES CHOSES NE VONT PAS COMME TU VEUX ?

  Ma voix sonnait maintenant avec force. Mais je sus que pour ce que je m'apprêtais à balancer, il faudrait baisser le ton. Je voulais tirer, je voulais la toucher mais en utilisant un silencieux, non pas pour diminuer l'impact de la balle, mais pour la rendre plus personnelle, plus intime.

— Tu feras quoi maman ? la provoquai-je en avançant mon visage vers elle et en faisant chuter decrescendo le son de ma voix. Tu me feras battre à mort dans une clairière comme avec Mahsa ?

— Nodem, je t'interdis de... et elle se stoppa net.

   On a tort de croire qu'un coupable démasqué panique, tremble, frissonne de peur. Non, celui qui est vraiment coupable ne s'émeut pas. Il se raidit, se fige comme une peinture. Pendant à peine quelques secondes, ma mère me fit penser à cette italienne dont je porte le prénom et dont le portrait rendit célèbre un peintre européen. Statique, immobile. Et mon cœur se contracta violemment comme à chaque fois qu'une chose déplaisante m'arrivait. J'avais raison, ma mère était impliquée dans l'affaire Mahsa. Et pour la première fois de ma vie, je souhaitais m'être trompée.

— Je ne vois pas où tu veux en venir Mona Lisa.

   Si seulement tu pouvais ne pas réellement voir maman. Si seulement tu ne comprenais rien à ce que je disais. Si seulement j'étais en tort, si seulement...

— Je leur ai tous parlé maman. À Um, à Senghor et enfin, à Mahsa. Ils m'ont tout raconté. Ce n'est plus la peine de faire semblant.

— Senghor ? Senghor... Et Mahsa ? Mahsa, mahsa, mahsa...

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant