CHAPITRE XXVI : LA TROISIÈME FILLE

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Je suis certaine d'avoir éteint cette satanée ampoule hier. Pourtant, sous mes paupières closes, je sens toujours une lumière chaude et vive qui me gêne. Qu'est-ce que ça peut bien être ? Je roule dans mon drap d'un bout à l'autre du lit, en espérant retrouver le sommeil qui commence à me quitter peu à peu. J'ai éteint l'ampoule, j'en suis sûre. Je l'ai éteinte avant de me coucher près de Miriam. Miriam ? Mes yeux s'ouvrent d'un coup. Je tâte le matelas. Il n'y a personne d'autre que moi dans le lit. C'est le jour qui s'est levé derrière ma fenêtre et ce sont ses rayons qui me gênaient dans mon sommeil.

Je me redresse et je cherche des yeux ma sœur. Je n'ai pas rêvé. Hier, elle était bien à mes côtes. Hier, elle s'est bien faufilée dans ma chambre pour m'avouer que maman l'avait obligé à avorter d'un enfant qu'elle avait conçu plus jeune avec un garçon qui ne voulait plus d'elle. Hier, elle avait pleuré dans mes bras, et dans un drap aussi. Un drap que j'ai jetté dans un coin de la pièce et et que je retrouve maintenant étalée sur moi. Alors, je ne faisais que rêver ? Non, c'est impossible. Ça ne pouvait pas être un rêve. Mais il n'y avait qu'un moyen d'en avoir le cœur net, sortir de cette chambre et parler à Miriam. Il suffirait d'un seul regard de sa part pour que je sache si j'avais rêvé ou si tout était bien réel.

Je me prépare en vitesse, un jogging gris, un T-shirt avec des têtes de squelettes, mes bracelets en cauris, et enfin ma touffe têtue de cheveux crépus à peigner matin et soir. En me regardant dans la glace une dernière fois avant de quitter ma chambre, je me dis qu'il faille vraiment que je fasse un tour chez la coiffeuse.

Je ne veux pas dire que je ne suis pas coiffée. Je le suis, je m'efforce de considérer mes cheveux à l'état naturel comme coiffés. Parce qu'une femme blanche dont les cheveux n'ont reçu aucun brushing, se considère quand même coiffée. Parce que les cheveux longs, défrisés, lissés, ça fait toujours coiffé. Tandis que les cheveux crépus laissés au vent comme des cheveux longs, feront toujours passer pour une folle à lier.

J'ouvre à peine ma chambre que je tombe nez à nez avec Miriam qui s'apprêtait à toquer. Elle me regarde et je comprends que ce qui s'est passé hier n'était pas un rêve. Elle est vêtue simplement. Un jean, et ma sœur en met très peu sous prétexte que ça ne fait pas dame, un T-shirt dans lequel elle me semble un peu ridicule, et ses cheveux en six humbles nattes.

Pas de bijoux aujourd'hui, pas de maquillage aussi, même pas de fond de teint pour couvrir tous ces grins noirs sur la joue, mais un peu de brillant à lèvres parce qu'après tout, c'est quand même Miriam. Elle me sourit et pour la première fois depuis de nombreuses années, je n'y décèle aucune arrière-pensée. C'est un sourire tout court.

- J'espère que tu as bien dormi. Je suis partie dans la nuit, parce que Manu aurait pu se réveiller. Il aurait paniqué s'il ne me trouvait pas près de lui.

- C'est normal, je comprends.

Nous sommes un peu gênées. Nous nous sourions bêtement, répondons le plus calmement possible. C'est comme si nous faisions connaissance pour la première fois. Je découvre une autre Miriam et pourtant le souvenir de l'autre me hante. L'humain n'est pas un robot, qui change de configuration aussi facilement. La Miriam que j'ai côtoyée pendant toute ces années était toujours là, elle ne pouvait pas disparaître comme ça. Elle vivrait toujours au fond de celle que je découvrais maintenant. Les deux versions cohabitaient. L'humain est contradiction, il est le bien et le mal à la fois. Il ne peut être ni tout noir, ni tout blanc. Il est nuance.

Mandela arrive d'un pas pressé, et débloque la conversation entre Miriam et moi, en annonçant quelque chose qui suffit à me réveiller définitivement. Maman est partie. Elle a pris la route très tôt ce matin pour le village, sans dire au-revoir. Papa dormait encore quand elle a quitté le lit, emballé quelques affaires dans un grand sac à main. Elle s'est servie dans la boîte où ils rangeaient tous les deux leurs économies. Une boîte circulaire en métal caché sous leur lit.

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant