Mon rêve se termine avant que mon réveil ne sonne la cinquièmes heure du jour. J'ouvre les yeux d'un coup et ne ressens pas cette température si basse qui m'accompagnait pourtant dans le monde onirique. J'étais très loin de mon lit, loin de ma chambre, loin de cette ville. Mais dans quelques heures, mon rêve se réalisera lorsque j'irais exactement où mon sommeil m'a amené. Je serais à Dschang.
Aucun rayon de soleil ne traverse ma fenêtre. Le ciel dehors porte encore sa robe bleue de nuit. Les oiseaux qui chantent à l'aube sont encore endormis. Le nombre de voitures et de motos défilant toutes les secondes sur l'autoroute, a diminué. J'entends maintenant les véhicules circuler à des intervalles espacées.
Je me prépare en à peine quelques minutes, sans maquillage, sans extravagance. Encore un jean, parce que je n'aime pas ma silhouette, mon corps dans des robes. Parce que je n'aime pas voir mes bras fins où se dessinent mes biceps, que j'ai d'ailleurs honte d'appeler ainsi. Parce que j'ai horreur de voir nues mes «jambes de mannequin» comme les appelait ma grand-mère, où je suis la seule à apercevoir de gros mollets. Mais aussi parce qu'il est peu prudent d'emprunter en robe un bus interprovincial, et ça ne l'est que pour les femmes, si vous voyez où je veux en venir.
Lorsque j'ouvre la porte de ma chambre fermée à clé la veille, je perçois des bruits dans le salon. À mon entrée, je lance un bonjour qui reçoit tardivement des réponses. Mon frère a la tête baissée sur son portable dont le reflet bleu illumine son visage, ma sœur aide son fils à enfiler sa petite paire de baskets, tandis que ma mère dispose dans un sac les gamelles du petit déjeuner. Un peu à l'écart, mon père passe un coup de fil.
Je dois avouer que ce n'est qu'en arrivant à la gare routière que je me rappelle du calvaire qui se vit souvent dans ce lieu. Les tracasseries lors de l'achat des billets, la clientèle qui patiente pendant des heures dans les conditions peu commodes des salles d'attente de nos agences de voyages, la confusion au moment de l'entrée des passagers dans le bus et enfin, l'inconfort durant le voyage. Rien que d'y penser, j'ai déjà envie de tout abandonner et de retourner dans mon lit.
Heureusement, une réservation longtemps rappelée nous épargne du calvaire que je redoutais. Nous ne patientons que quelques minutes avant d'être dirigés dans deux bus différents. Jamais tous ensemble dans le même. Si sur ce continent, nos routes étaient mieux construites, nos conducteurs sur le volant moins rapides et moins alcooliques, peut-être n'aurions-nous pas à prendre ces précautions. C'est à cela que je pense en montant dans mon bus, Manu me fait un signe de la main depuis le leur.
C'est moi qui ai choisi de voyager en classe économique, dans un de ces grands bus très peu ponctuels, avec ses passagers bruyants. Le reste de ma famille voyagera en classe VIP, pas parce que nous sommes des gens aisées. Mais parce que ma sœur est aujourd'hui une personne aisée, qui se voit mal en train de se frotter à des continentaux dans un véhicule. Cette époque de notre vie où nous n'étions pas encore à l'abri du besoin, où mon père n'était pas encore à la tête de la petite entreprise qui le rendrait plus tard riche, évoque chez elle plus de dégoût que de nostalgie. J'ai choisi de ne pas oublier ces moments-là, qui n'étaient pas si mal que cela.
Et je ne regrette franchement pas mon choix, au moment où je retrouve cette ambiance particulière des bus interprovinciaux africains. Vous voyez bien de quoi je parle. Les discussions entre passagers qui se retrouvent, ne se connaissent pas ou à peine, les soupirs et les voix qui s'entremêlent, les membres humides qui se frottent les uns contre les autres, les éclats de rire à peine retenus, les conversations téléphoniques censées ne concerner que deux personnes et qui finalement concernent tout le bus, l'odeur des repas achetés à la gare ou sortis des sacs, les pleurs stridents d'un nourrisson.
C'est la magie du transport en commun, qui lie des centaines de personnes par une même destination. Par le fait d'emprunter le même véhicule, de se rendre plus ou moins au même endroit, nous sommes unis, nous nous connaissons déjà. Et en cas de péril, c'est ensemble que nous affronterons le danger.
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Le Masque Ensanglanté
Mystery / Thriller«Grand-mère est morte, il faut que tu rentres.» Il n'a pas fallu en entendre plus pour que Mona Lisa fasse ses valises et se décide à rentrer au terroir, après trois années passées sur le Vieux Continent. Le Cameroun qu'elle retrouve à son arrivé...