Mandela est rentré de l'université, je l'ai entendu entrer dans sa chambre. Mon cœur s'apaise à l'idée de savoir qu'il est à présent à la maison. J'ai le sentiment de l'avoir pour allié, même s'il ne sait rien de tout ce qui m'est arrivé ces derniers jours. Je ne réalise que maintenant ce que cela signifie de porter un poids pareil, toute seule pendant des années. Je me croyais forte, ma mère vient de me prouver que je ne le suis pas, pas assez.
Mon Dieu, je ne savais plus quoi croire. Je ne savais plus qui écouter. Qui mentait et qui disait la vérité ? Dans ces moments, Amal m'aurait dit de plutôt me demander qui avait le plus à perdre. Mon amie Amal dont je n'avais plus pris de nouvelles. Quelle idiote je faisais, à jouer à la Sherlock Holmes pendant des jours, dans mon village reculé comme sur l'île de Robinson Crusoé. Je ne pouvais pas trouver toutes les réponses toute seule. Peut-être me fallait-il de l'aide. Oui de l'aide. Et cette fois, je n'irais pas la demander sur une tombe. Ma grand-mère souriait toujours dans le cadre photo accroché au mur de ma chambre. Mais elle ne pourrait plus rien faire d'autre.
Je cherchai longtemps mon téléphone dans mes affaires que je n'avais pas encore rangées depuis mon arrivée. La chambre était intacte. J'y avais dormi seulement une nuit après tout. Je trouvai le portable allumé en raison des multiples notifications que j'avais reçues. Un message d'Amal me rappelant que les congés s'achevaient bientôt et qu'il faudrait que je pense à mon retour, à cet exposé que nous devions présenter ensemble. L'exposé, je l'avais complétement oublié. Je m'y mettrais dans les derniers jours. Mais le temps pressait, je devais régler définitivement ce qui me retenait ici.
Des appels en absence aussi. Et des messages. C'était Um. Son prénom me faisait peur à présent. Pour la première fois de ma vie, je me demandai si je le connaissais vraiment. S'il n'avait pas changé comme tous ces amis d'enfance qui finissent par prendre leur voie à l'âge adulte et qu'on ne reconnaît plus en les retrouvant. Senghor était en contact avec ma mère, il savait qui nous étions et il a feint le contraire.
Um était de la partie ? M'avaient-ils piégé tous les deux ? Je connaissais trop peu ce notable pour le défendre, même si à vue d'œil il ne m'inspirait rien de mal. Mais Um, lui savait tout de ma quête, des mes motivations. Il m'avait ouvert les yeux sur la situation au village. La situation au village... Pourquoi ? Pourquoi m'avoir conduit dans tous ces coins sinistrés ? Il voulait que j'établisse le lien avec ce qui me tourmentait ? Mais il n'en savait encore rien. Ou peut-être que si. Une chose était maintenant certaine, il n'était pas celui qu'il paraissait. Et il en savait plus que ce que je lui avais dit.
Je voulus revoir les photos prises lors de cette promenade. Il n'y avait rien dans mon appareil photo. Là, je frôlais la crise d'hystérie. La carte mémoire était tout simplement vide. Tous mes fichiers supprimés. Je ne perdais pas seulement les souvenirs de ce jour-là, mais également des centaines d'autres. J'étais minutieuse, je n'aimais pas qu'on touche à mes affaires.
Mon appareil photo était resté dans mon sac depuis ce jour-là. Personne n'y avait touché, mais quelqu'un avait bien supprimé les photos. La seule personne à savoir que j'en avais prises, la personne qui m'avait prise en photo ce jour-là devant la chefferie et avait traîné avec l'appareil dans les mains. J'aurais juré que c'était parce qu'il ne savait pas s'en servir.
Et par la suite, où est-ce qu'il m'avait conduit ? Chez sa mère. Chez maman Rosa. C'était chez elle que la journée s'était achevée, c'était aussi avec elle que ma mère venait de clore notre conversation. C'était donc à elle que je devais maintenant parler.
Mais j'étais au mauvais endroit, et si je décidais de rentrer au village, ce serait une bonne fois pour toutes. Pour percer la vérité, réunir enfin tous les morceaux du puzzle, comprendre le résultat final, puis ? Partir, rentrer en France, finir mes études cette année, me trouver un boulot, l'amour aussi, peut-être. Et ne plus jamais faire de cauchemars sur cette clairière, sur cette fillette. Me réconcilier avec Mahsa, si elle le voulait bien, si la vérité nous le permettait finalement.
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Le Masque Ensanglanté
Mystery / Thriller«Grand-mère est morte, il faut que tu rentres.» Il n'a pas fallu en entendre plus pour que Mona Lisa fasse ses valises et se décide à rentrer au terroir, après trois années passées sur le Vieux Continent. Le Cameroun qu'elle retrouve à son arrivé...