Les herbes sifflent en me fouettant les chevilles, mes pieds écrasent des branches que j'entends craquer. Des arbustes me griffent les bras et le visage. Je la garde dans mon viseur. Mes jambes s'élancent toujours plus loin. Je n'ai pas besoin de savoir où je vais, il me suffit de continuer de la suivre.
Ne surtout pas la perdre de vue, car au point j'en suis, la maison est trop loin derrière moi. Je ne peux plus revenir sur mes pas. Nous avons dévalé la colline, elle fuyant, moi la suivant. Je n'avais pas réfléchi. Mes jambes s'étaient mises en route toutes seules. Cela faisait longtemps qu'elles n'avaient plus agi de la sorte. Comme à l'époque où elles n'attendaient qu'un signal pour se déchaîner jusqu'à la ligne d'arrivée. Je prends plaisir à cette course-poursuite dans la brousse. Je recommence à ressentir cette chose qui a fait de la course de vitesse ma passion autrefois. Cette impression de pouvoir, pendant quelques fractions de secondes, quitter la terre ferme, prendre mon envol.
Avant de suivre Mahsa, je me suis pourtant imaginée rester près de la tombe, la laisser s'enfuir. Mais j'ai vite compris que je ne l'aurais pas supporté. J'aurais passé le reste de la soirée à regretter de ne pas avoir agi promptement. Je m'en serais voulue. À l'idée de porter une nouvelle culpabilité, mes jambes s'étaient réveillées. À présent, je sais qu'elles ne s'arrêteront pas avant d'avoir saisi la proie. La proie c'est Mahsa.
Mes cheveux peignés tout en arrière, en profitent pour être désobéissants, et se lèvent au gré du vent. Je continue de courir en gardant les yeux sur le dos de Mahsa, son corps qui s'élance dans la brousse. Son corps qui se tord, qui prend des virages, échappe aux branchages, son corps qui glisse sur le feuillage sec, puis se redresse et continue d'avancer dans la brousse.
Le ciel vidé du soleil commence à prendre une sombre teinte. Seules quelques trainées orange de nuages rappellent les rayons de l'astre. Le croissant lunaire a déjà pris place. Les grillons commencent à chanter. Et je ne sais toujours pas où je vais. Je demande de nouveau à Mahsa de s'arrêter, je lui dis que je ne lui ferais aucun mal. Je lui dis que j'ai longtemps rêvé de ce moment, mais que je ne savais pas que ce serait elle qui viendrait me chercher. Je m'exprime plus qu'il ne faut. Je lui dis tout ce que j'ai dû faire pour en apprendre plus sur elle, et finalement je prononce le mot interdit.
— Je sais que tu es la fille de Wangari.
Le corps devant moi glisse dans un feuillage et disparaît. Je n'ai même pas le temps de m'exclamer, que je me retrouve seule au beau milieu de nulle part. Alors pour la première fois depuis qu'a commencé cette course effrénée sans juge-arbitre et sans sifflet, je m'arrête et tourne sur moi-même. Le froid que je ne ressentais pas en courant, me tombe dessus brutalement.
Je m'assois sur la terre, puisqu'il n'y a justement aucune herbe où je me trouve. Dans un rayon de cinq mètres à la ronde, il n'y a même aucun arbuste, aucun arbre. Juste de la terre et du gazon. Au-delà, s'élèvent de grands arbres dont les feuilles se confondent en de gros nuages. Ce qui donne l'impression que quelque chose aurait été atterri au milieu de cette brousse, un avion, une météorite, un astre déchu des cieux. Et ce quelque chose a écarté autour de lui les arbres, pour dessiner sur le sol ce cercle dans lequel je me retrouve à présent. C'est une clairière, c'est la clairière.
— Mahsa où es-tu ? lançai-je à tout hasard.
Je reçus pour seule réponse les grillons et le vent se glissant dans les herbes. Mon cœur se contracta lentement et ma gorge s'assécha. Le silence à un tel moment devenait meurtier. Il fallait que je continue de parler, même si la température me figeait déjà les membres supérieurs.
— Mahsa ! Je ne m'en irais pas d'ici sans t'avoir...
Telle une panthère noire sortie d'un buisson, une ombre surgit dans mon dos et me relève brusquement. J'ai le temps de reconnaître l'odeur de l'huile de palmiste sur la peau. Je me débats violemment, n'hésitant pas à envoyer des coups de pieds au hasard.
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Le Masque Ensanglanté
Mystery / Thriller«Grand-mère est morte, il faut que tu rentres.» Il n'a pas fallu en entendre plus pour que Mona Lisa fasse ses valises et se décide à rentrer au terroir, après trois années passées sur le Vieux Continent. Le Cameroun qu'elle retrouve à son arrivé...