CHAPITRE XII : CE N'ÉTAIT QU'UN RÊVE

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   Une voix lointaine m'appelle. Au début, je crois pouvoir l'ignorer depuis le gouffre profond et obscur dans lequel j'ai l'impression d'être tombée. Je ne vois plus rien et même ce que je crois percevoir, me semble irréel, me semble être un rêve. La voix persiste, m'appelle avec toujours plus de force. J'aimerais pouvoir allumer la lumière, ouvrir les yeux, me réveiller. Mais je suis comme plongée dans le coma.

  L'obscurité finit par prendre forme. Un paysage se dessine dans cette noirceur. Une clairière tapissée de hautes herbes au milieu de laquelle je me tiens debout. Des arbres au feuillage foncé par la noirceur de cette nuit onirique, m'entourent comme de menaçants figurants.

   Et dans le ciel, la lune. Pleine, ronde comme elle l'était cette nuit-là. Comme elle l'était le jour où je suis devenue le témoin d'un crime abominable. Alors que mon champ de vision n'incluait jusqu'ici que le paysage, je finis bientôt par remarquer une silhouette en face de moi. C'est en fait un corps de femme, une femme qui porte un masque. Et cette fois, comme si dans ce monde de rêves et d'illusions, je trouvais plus de courage, je prends le temps d'observer le masque et son impressionnant design.

   Des décors en forme de pétale ornent la partie supérieure du masque, comme une couronne ornerait la tête d'une femme. Les yeux du masque eux, s'ouvrent grands en deux trous noirs, sans qu'on ne puisse y apercevoir les yeux de la personne derrière la sculpture. La bouche est dorée comme de l'or, imposante comme des lèvres d'homme. C'est un visage impassible et froid qui s'offre à la vue. Un visage qui semble pourtant attristé, quand on observe sur les joues, de petits cristaux semblables à des larmes, des larmes de fureur ou des larmes d'un profond désespoir.

  Un visage de survivante surtout, car taché sur sa partie inférieure gauche, d'un fluide rouge sombre, que je me refuse à nommer par son nom. C'est du sang, du sang qui glisse dans les doigts de la femme qui porte le masque, coule jusqu'à son coude, lui tombe sur le buste, lui salit sa robe noire.

   La voix m'appelle de nouveau. Le paysage se floute, sans que je n'ai le temps de faire quoique ce soit, plantée là en face de ce personnage. L'image de la clairière s'efface et mes yeux s'ouvrent sur un plafond boisé sans lustre. C'est le plafond du salon de notre maison familiale. La sueur dégouline de mes tempes, s'insinue dans la chair plissée de mon cou. Ma poitrine monte et descend sans que je ne puisse la contrôler. Je respire comme une coureuse après un quatre cent mètres. 

   La mine inquiète de ma mère m'accueille dès que j'incline la tête. Je remarque alors les rides qui sillonnent ses joues en partant de son nez. Ses paupières sont lourdes et creuses. Ce n'est que maintenant que je remarque qu'elle a assurément perdu quelques kilos.

   Avec l'atmosphère festive qui nous a entourés depuis mon arrivée au pays, je n'ai pas eu le temps d'être aussi proche d'elle. Nous n'avons pas eu cinq minutes pour nous, passant le plus clair de notre temps à préparer ce grand événement. Ma mère s'y est adonnée plus que quiconque d'autre. On n'est jamais trop vieille pour faire ses preuves dans la belle-famille. Car même après plus de vingt ans de mariage, j'ai parfois l'impression que ma mère cherche encore à faire ses preuves.

   Ses traits se détendent lorsqu'elle constate que je suis revenue à moi. Elle me sourit avec tendresse, comme elle le faisait lorsque plus jeune, je me relevais vaillamment d'une chute.

— Tu vas bien ? me demande t-elle en fronçant les sourcils, tu t'es évanouie au milieu de la cour, nous étions tellement inquiets.

   C'était donc cela. Je m'étais évanouie. J'étais tombée dans les pommes. Je n'avais pas pu supporter la vision de cette chose ou cette personne en face de moi. Avais-je seulement bien vu ? Je commençais à douter de ce qui s'était passé cette soirée-là. Et si tout cela n'avait été qu'un rêve, une illusion, un mauvais tour ?

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant