CHAPITRE XXVII: RIEN QU'UN HOMME

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   Nous sommes dans le car à présent, en route pour Dschang. J'ai fait un tour au salon de coiffure, rien de spécial. Des nattes sur la moitié de mon crâne s'achèvent en des tresses ondulées jusqu'à mes épaules. Miriam est rentrée dans l'après-midi, elle avait dû visiter trois agences différentes avant de trouver celle où maman avait voyagé. Elle était arrivée trop tard pour l'en empêcher. Son car était déjà parti. Elle arriverait au village à dix-sept heures au plus tard. Si nous voulions la rattraper, il faudrait  nous mettre en route au plus vite.

   Nous avons quitté Douala à dix-huit heures. Nous arriverons facilement à minuit, la circulation étant plus fluide la nuit. Demain dès l'aube, j'irais voir Maman Rosa. C'était d'elle dont maman m'avait parlé et c'était aussi d'elle que papa m'avait parlé. Oui, il m'avait finalement parlé, mais seulement après que Mandela ait quitté la pièce, après être resté silencieux longtemps à méditer sur les propos de son fils.

— Miá, il a dit la vérité ? Ta mère a forcé Miriam à avorter ? m'avait-il demandé la voix tremblante.

— Oui papa, nous l'avons su hier, confirmai-je malgré moi.

  Il avait baissé la tête, et était resté comme cela, le menton sur le torse pendant de longues minutes à soupirer bruyamment. Après quoi, il avait levé la tête. Il ne pleurait pas, mais il en était tout près. Mandela avait raison, les barreaux le retenaient toujours.
   
— J'ai toujours su que votre mère est une femme...comment dire...excessive. Elle va toujours dans les extrêmes et les murs de notre chambre peuvent témoigner, c'est ce que je lui ai toujours reprochée. J'ai aimé Wangari, mais je savais aussi que votre mère m'aimait. Je croyais que ça passerait, je ne lui ai jamais donné de faux espoirs. C'est le destin qui a voulu qu'on finisse ensemble. Non, ce sont les ancêtres plutôt. Ce sont les ancêtres qui ont rappelé à Wangari qui elle était, qui l'ont éloigné de moi et mis ta mère à sa place.

— Tu étais au courant de la promesse qu'elles se sont faites à ton sujet ?

— Ta mère m'en a parlé lors de notre nuit de noces. Elle m'en a parlé parce qu'elle savait que je ne pouvais plus rien y changer. Elle m'avait épousé, elle avait gagné, je lui appartenais. Je n'avais pas pris tout ça au sérieux avant aujourd'hui.

— Et tu es au courant de ce que maman a fait à cette enfant, à la fille de Wangari ?

— Qu'est-ce qu'elle lui a fait ?

    Le visage de mon père s'était décomposé en un instant. Je commençais à me demander moi aussi si cette Wangari n'avait pas finalement envouté mon pauvre père. Il suffisait de prononcer son prénom pour que sa mine change. Je croyais que ma mère exagérait en parlant de folie. Mais c'était le mot qui convenait. Mon père était fou de cette femme. Je me surpris à l'envier. Et en me mettant à la place de ma mère, je comprenais presque cette jalousie. Aucune femme au monde ne voudrait voir l'homme qu'elle aime, crever pour une autre.

  Mon père était réellement horrifié. Il était sorti du fauteuil dans lequel il s'était tassé. On ne pouvait pas feindre autant la crainte. Il me supplia de lui dire ce que ma mère avait fait. Il me supplia mais ses yeux me disaient de me taire. De ne surtout pas dure à haute voix ce qu'il a soupçonné tant de fois. Il connaissait la femme qu'il avait épousé, il savait jusqu'où pouvait aller sa méchanceté. Il croyait le savoir.

— Non, pas jusque-là... Non, ta mère n'a quand même pas fait ça... Non, non...

  Il n'arrêtait pas de me répéter que non, que non, les choses n'étaient pas allées aussi loin, pendant que je lui racontais ce que je savais des évènements de cette nuit-là. En vérité, je ne savais pas grand-chose en dehors de ce que mes yeux avaient aperçu dans la pénombre de la clairière. Mahsa étendue dans les herbes, les jambes écartées, un liquide noirâtre sur la terre, sur sa robe. Si c'était bien du sang, alors elle a dû en perdre beaucoup. Il y en avait partout, partout. Le courant d'air de la nuit, le concert des grillons et sa voix qui m'avait murmuré :« Aide-moi, Mona Lisa aide-moi».

Le Masque Ensanglanté Où les histoires vivent. Découvrez maintenant