Chapitre 11 - La soirée du général

30 9 0
                                    

Il était tellement tard dans la nuit qu'il en était tôt, pourtant, Roy'gann ne dormait pas. Ce n'était pas à cause d'une insomnie mais d'une habitude qu'il avait adoptée récemment. Depuis quelques jours, il dormait en fin d'après-midi et début de soirée de manière à être réveillé et alerte durant la nuit en prévoyance d'une éventuelle attaque de l'Alliance Blanche, comme on nommait les royaumes sous l'égide de la Flamme Blanche aux Terres de Sang.
Ces derniers mois, tout avait été étrangement calme sur la frontière. Il n'y avait eu qu'un seul affrontement, celui qui avait retardé Royg'ann lors de sa réunion au palais. Leur ennemi semblait épuisé mais Royg'ann songeait plutôt au calme avant la tempête. Il était évident que la Flamme Blanche n'allait certainement pas abandonner de la sorte. Pour lui, chaque journée qui s'écoulait sans nouvelle de leur ennemi les rapprochait d'une violente offensive imprévisible.
Les soldats blancs préparaient forcément quelque chose et, à leur place, Royg'ann aurait planifié un assaut nocturne. Durant ces heures-ci, la majorité des troupes dormait sans être prête à intervenir et surveiller était toujours plus difficile malgré toute la sécurité mise en place. C'était l'horaire idéale pour lancer une attaque.
Dans cette éventualité, Royg'ann demeurait éveillé toutes les nuits pour être capable d'organiser la riposte dans les meilleurs délais et conditions. C'était le rôle du général du corps d'armée qu'il était.
L'assaut qu'il anticipait ne survenait cependant toujours pas et ne serait pas pour cette nuit non plus. En un sens, Royg'ann en était soulagé. Une bataille en moins évitait les morts et les blessés mais, d'un autre côté, il aurait souhaité que tout se déclenche car il en avait assez de cette situation qui paraissait stagner.
Après des semaines où sa seule activité avait été d'inspecter le camp et assigner les tours de gardes, il s'ennuyait. Même prévoir les éventuels mouvements de l'Alliance Blanche et comment les contrer ne l'occupait guère plus.
Certainement était-ce à cause de son éducation d'elfe noir mais, plus qu'un soldat, il restait un guerrier et avait besoin de combattre. Les entrainements avec ses subalternes ne lui suffisaient pas. Il avait besoin de défis dont triompher pour ne pas tourner en rond comme il le faisait ces derniers temps.
Au moins, ses rapports n'exigeaient que peu de son temps pour être rédigés. Sarrion devait néanmoins les trouver bien vides mais il pouvait donc se concentrer sur d'autres affaires.
Dans un soupir de lassitude, Royg'ann se détourna de la table sur laquelle s'étalait la carte de la région sur laquelle des figurines de bois, blanches pour l'Alliance Blanche et vert clair pour les Sanguiliens, symbolisaient les troupes, leur position et leurs déplacements. Inutile qu'il s'obstine ainsi à prévoir toutes les possibilités pour les prochains affrontements. Il avait déjà envisagé tous les cas de figures.
Quittant l'atmosphère confinée de sa tente, il sortit du campement au centre duquel il était installé. Un souffle de vent nocturne s'engouffra dans le pans de toile servant de porte et agita légèrement sa tresse en épis tombant sur son épaule.
Dans un nouveau soupir, d'aise cette fois, il s'étira puis observa les alentours, non seulement pour vérifier que tout allait bien dans le camp mais également pour profiter de l'endroit. Malgré les raisons de leur présence à tous, le cadre était agréable avec les arbres, l'odeur des bois, le chant du vent dans les aiguilles de pins, la danse de la faune. Royg'ann restait un elfe, même si il était un elfe noir. La nature l'aidait à se détendre et à délier ses pensées, même si on ne pouvait guère dire qu'il était surchargé ou surmené.
Avant de s'installer pour goûter au charme serein de la forêt, il fit le tour du campement en s'assurant auprès des gardes que rien n'était à signaler, ce qui était bien le cas. L'attaque envisagée par Royg'ann ne semblait décidément pas pour ce soir, encore une fois.
Royg'ann pouvait être certain sans le moindre doute qu'aucune des sentinelles n'avaient omis un détail alarmant ou avait confondu une activité ennemie avec celle d'animaux nocturnes car il les avait justement spécialement sélectionnées en raison de leur appartenance à des espèces dotées de visions nyctalopes et d'ouïs affutées.
Même si aucun garde n'avait d'information à lui transmettre pour la sûreté du campement et de la frontière, il échangea avec chacun, des banalités ou quelques plaisanteries. Contrairement à certains de ses homologues gradés, il se montrait toujours proche de ses hommes. Certainement était-ce son caractère bon enfant qui le rendait sympathique auprès de son entourage qui l'appréciait, y compris ses subalternes.
Préférant néanmoins ne pas détourner ses hommes de leur tâche essentielle, il ne s'attarda pas longuement et alla s'installer à quelques pas du campement, sur une pierre moussue affleurant de la terre noire et humide de la forêt. S'y asseyant, il vérifia ses armes. Cette habitude le suivait depuis longtemps : dès qu'il prenait place où que ce soit, excepté au Palais Vermeille, il s'assurait que son armement était facilement à sa portée.
Les manches de ses deux dagues dépassaient de ses bottes, son épée pendait contre sa hanche dans son fourreau, et il avait déposa son arc à ses pieds, accompagné de son carquois, trop encombrants. Si ses armes étaient parfaitement entretenues et prêtes à l'emploie, son habillement ne présentait pas aussi bien. Ses armes semblaient davantage soignées que son apparence.
Il avait délaissé sa tunique croisée et ne portait que son pantalon de cuir et sa chemise vert amande partiellement déboutonnée. En un sens, il n'accordait pas une grande importance à l'uniforme et à comment il l'arborait. Sa loyauté ne se mesurait pas selon sa tenue et son apparence. C'était la force de l'attachement qu'il éprouvait qui comptait réellement.
Parfois, il se demandait si c'était la même force qui animait les autres soldats. Parmi les Sanguiliens, certains avaient fui les autres royaumes pour se réfugier aux Terres de Sang et ils souhaitaient empêcher ce qu'ils avaient connu dans les pays de l'Alliance Blanche de se reproduire dans leur nation d'adoption. Pour beaucoup, c'était la volonté de protéger le seul endroit de l'Enclave où les Humcréas pouvaient vivre librement sans se cacher qui les motivait. C'était même le cas pour la très grande majorité des soldats que Royg'ann avait rencontrée. Les exceptions représentaient surtout des héritages familiaux, ceux qui poursuivaient une carrière militaire de génération en génération. Il y avait également ceux qui profitaient de l'armée pour échapper à une situation déplaisante ou qui s'engageaient pour prouver quelque chose.
En revanche, il peinait davantage à cerner les motivations de ceux qui composaient le camp adverse. Le plus évident aurait été de songer que la haine les poussait mais il ne pouvait croire qu'il ne s'agissait que de cela. Ils devaient probablement être aveuglés par les enseignements de Flamme Blanche mais croire ces propos ne suffisaient pas. Ces soldats que Royg'ann croisait sur le champ de bataille de l'autre côté de son épée paraissaient le plus souvent éreintés, épuisés, plus mentalement que physiquement, par ce front qui ne progressait jamais.
Certainement était-ce là la principale différence entre les Sanguiliens et les soldats de l'Alliance Blanche. Les premiers luttaient pour défendre ce à quoi ils tenaient, leur famille, leurs amis, leur liberté, alors que les seconds croyaient en l'idée de purger l'Enclave de tout ce qui n'était pas humain. La haine s'essoufflait après quelques mois.
Secouant la tête de gauche à droite, Royg'ann s'efforça de chasser ces pensées. C'était mauvais, l'ennuie le poussait à la réflexion sur leurs adversaires. Ce n'était pas qu'il compatissait ou cherchait à justifier les actes de la Flamme Blanche mais qu'il tentait seulement de comprendre, sauf que comprendre ses adversaires était la meilleure manière pour se mettre à sa place et de se retrouver incapable de lever son arme contre lui durant les combats. C'était ainsi qu'on se faisait tuer. Comprendre ce qui animait ses adversaires était cependant également le meilleur moyen pour être capable de prévoir leur réactions et de les piéger.
Royg'ann soupira à nouveau. Ces réflexions ne le menaient nulle part. Son esprit tournait en rond, comme lui à cause du manque d'activités.
Incapable de se défaire de ces pensées malgré ses efforts, Royg'ann ouvrit la bourse de cuir passée à sa ceinture pour en sortir sa pipe. Il s'agissait d'un tube d'un peu moins d'une dizaine de centimètres dans un bois sombre percée d'une ouverture circulaire sur le haut à proximité d'une des deux extrémités et orné de gravures. On remplissait le tube de tabac qu'on embrasait pour fumer à la mode elfique.
En prenant une généreuse pincée, Royg'ann bourra sa pipe qu'il alluma à l'aide de son briquet. Le tabac était lui aussi typiquement elfique, comme la pipe. La variété, la façon dont il était cultivé et préparé ne se trouvaient que dans la culture elfique. Traditionnellement, il était mélangé à toutes sortes d'épices et d'herbes pour correspondre aux goûts de chacun.
La première bouffée que Royg'ann exhala le détendit un peu et fumer l'occupait pour quelques minutes, même si il ne s'agissait pas d'une activité particulièrement prenante.
Sans compter qu'il commençait à manquer de tabac et ne pourrait plus s'aérer l'esprit de cette manière d'ici quelques jours. Il n'avait pas eu le temps de refaire sa réserve lors de son dernier passage à Sangaliore. Peut-être que, avec tout le temps libre dont il jouissait dernièrement, il aurait pu trouver l'occasion de s'en racheter.
Un craquement sur sa droite entre les arbres attira soudainement son oreille. Soufflant un nuage de fumée par-dessus son épaule, il se fit plus attentif à ce qui l'entourait. Ce son aurait très bien pu être le fait d'un animal mais le pas semblait trop lourd pour appartenir à une quelconque biche. Par ailleurs, Royg'ann avait cru distinguer le crissement caractéristique d'une semelle en cuir.
Quelqu'un approchait.
Eteignant sa pipe pour que le rougeoiement des braises ne le trahisse pas, il se releva lentement, une main sur le pommeau de son épée, et observa les environs. Les sens aux aguets, il se tourna vers les postes de surveillance installés dans les hauteurs des pins. Même si les plateformes sur lesquelles se tenaient les sentinelles étaient dissimulés par les branchages, Royg'ann connaissait parfaitement leur emplacement et il n'avait donc pas besoin de les avoir en visuel pour examiner leur position.
Tout paraissait calme, aucun des gardes n'envoyaient de signaux et aucun sentiment d'alerte n'émanait d'eux. Tout semblait normal pourtant, Royg'ann était certain qu'il y avait une présence à proximité. Il la percevait non loin.
Il n'aurait pu s'agir que d'un de ses hommes qui s'isolait mais les aménagements sanitaires se situaient de l'autre côté du campement et tous savaient qu'il ne valait mieux pas quitter le camp pour éviter d'être confondu avec un ennemi. Seul Royg'ann se permettait de s'éloigner ainsi.
A moins qu'il ne s'agisse que d'un effet de son imagination qui s'emballait pour rien à force d'ennui.
Dans le doute, Royg'ann préférait vérifier avant de sonner l'alerte. Si il s'avérait qu'il avait rêvé tant il tournait en rond, il ne souhaitait pas passer pour un idiot devant ses troupes.
A pas silencieux et une flèche encochée dans son arc, il se dirigea vers l'endroit d'où avait émané ce craquement suspect, tous ses sens déployés autour de lui.
Rapidement, il releva d'autres bruits de pas. Bien qu'ils soient aussi légers et discrets que possible, ses longues oreilles d'elfe les captèrent. Il ne compta qu'une unique démarche, une invasion fort modeste mais il suffisait qu'un seul espion s'infiltre pour fragiliser toute la défense du royaume. Royg'ann ne pouvait le permettre.
Sans attendre, le général s'orienta grâce à ces bruits et s'approcha de leur source. Grâce à sa vision nyctalope, il remarqua aisément une silhouette qui se déplaçait entre les arbres.
Cet intrus, que Royg'ann devinait être un homme à en juger par sa carrure, se plaçait sous certains arbres au pied desquels il restait plusieurs secondes, parfois plus longuement ou brièvement, avant de gagner un autre pin. Les troncs contre lesquels il s'arrêtait ne paraissaient pas être choisis au hasard car c'était dans leur frondaison que se trouvaient les différents postes de surveillance.
En restant sous les plateformes ainsi, il évitait que les gardes ne le repèrent et il attendait que ceux postés aux alentours regardent ailleurs pour se déplacer.
Visiblement, l'homme avait étudié le fonctionnement du système de surveillance du campement. Royg'ann se demandait comment il pouvait savoir où les sentinelles regardaient à quel moment mais l'elfe ne s'interrogea pas davantage. Pour l'instant, le plus urgent était de stopper cet intrus.
Bandant son arc, il visa la silhouette qui continuait à progresser, ne l'ayant pas repéré, et pinça sa lèvre inférieure en une amorce de sifflement pour avertir les gardes
qu'une activité anormale se déroulait actuellement mais il en fut empêché.
Il perçut soudainement une présence dans son dos, comme si quelqu'un venait de chuter derrière lui depuis la cime des arbres. Avant qu'il ne puisse se retourner, malgré sa vélocité et son entrainement, on saisit son arc pour le tirer sous sa gorge. Tenant son arme de travers, on l'appuya contre sa trachée, étouffant son sifflement.
Royg'ann comprenait mieux pourquoi l'autre intrus parvenait à deviner dans quel sens les sentinelles observaient, car un complice le guidait depuis les hauteurs des branchages. L'elfe devait reconnaître qu'il n'avait pas remarqué une seconde présence ni ne l'avait soupçonnée.
Ne se laissant pas déstabiliser, Royg'ann voulut saisir son attaquant pour le faire passer au-dessus de lui et le jeter à terre mais il ne parvint pas à l'attraper. De toute évidence, son agresseur était nettement plus petit que lui. Il allait devoir changer de stratégie.
Avant qu'il ne perde connaissance à cause du manque d'oxygène, il lâcha son arc, qu'il tentait de repousser par réflexe, pour glisser les mains dans son dos sous les bras de son attaquant. A tâtons, il trouva les plis de vêtements qu'il saisit pour violemment tirer son adversaire contre lui en arrondissant le dos. L'impact vida tout l'oxygène des poumons de son attaquant, Royg'ann l'entendit clairement dans l'exclamation étouffé qu'il poussa.
La prise sur l'arc et contre la gorge de Royg'ann faiblit suffisamment pour qu'il puisse écarter son arme et s'en dégagea en se baissant.
Se redressant immédiatement avec une vitesse incroyable, il attrapa l'extrémité de son arc et l'arracha à son attaquant en usant de sa force. Se retournant vivement, il frappa l'autre personne au visage de son arc. Sous la force du coup, l'autre s'écroula face contre terre.
Laissant tomber son arc au sol, Royg'ann s'approcha pour voir à quoi ressemblait son agresseur. Pour le moment, tout ce qu'il pouvait observer était une masse de cheveux aussi noirs que la nuit environnante.
Se penchant sur cet intrus, il s'apprêta à le retourner en appelant des renforts mais la tranche d'une main le percuta brutalement à la gorge et l'épaule. Sa vision se voilà et il tituba de quelques pas sur le côté.
Il se reprit rapidement mais pas suffisamment. Son attaquant se jeta sur lui en le fauchant. Tous deux roulèrent au sol.
Ne se débattant pas inutilement avec des mouvements anarchiques, Royg'ann chercha à saisir le bras de son adversaire pour effectuer une prise sur lui et l'immobiliser malgré l'imprécision de l'action. Ses doigts se refermèrent autour d'un poignet et il alla pour entrainer son attaquant dans son élan mais l'ai se bloqua subitement dans ses poumons.
Il ouvrit largement la bouche par réflexe pour aspirer davantage d'oxygène, sans succès. L'air ne coulait plus dans sa trachée et ne remplissait plus sa poitrine qui le brûla presque immédiatement, comme il était déjà essoufflé à cause de la violente empoignade.
Sa poigne faiblit et il libéra involontairement son adversaire. Il serra sa poitrine avec tant de force que ses ongles griffèrent sa peu à travers le tissu de sa chemise. A grands bruits, il inspirait en quête d'un oxygène qui n'apaisait pas ses poumons enflammés. Des taches sombres virevoltèrent devant son regard et il tomba à genoux.
En pleine détresse respiratoire, il ne vit pas le coup venir. D'ailleurs, il ne comprit pas réellement qu'il reçut un coup comme, avec le manque d'oxygène, son esprit peinait à fonctionner et à analyser ce qu'il se passait. Il perçut seulement la douleur qui éclata dans son visage et au niveau de son sternum ainsi que le sol qu'il percuta en s'affaissant.
Après quelques secondes durant lesquelles sa conscience s'éteignit lentement, l'oxygène se déversa à nouveau dans ses poumons si soudainement que c'en fut douloureux. Revenant avec lui avec ce brusque apport d'air, il se redressa subitement en inspirant bruyamment.
Dans l'obscurité qu'il perçait grâce à son regard de nyctalope, il distingua son attaquant à quelques mètres de lui. Il découvrit une silhouette féminine, de dos, dotée d'une impressionnante chevelure noire d'où dépassaient les longueurs effilées d'oreilles d'elfe. Ce détail lui indiquait avec certitudes qu'il ne s'agissait pas d'une tentative d'offensive de l'Alliance Blanche mais cette femme l'avait néanmoins attaqué alors qu'il représentait une certaine forme d'autorité. Il ne pouvait donc pas la laisser s'enfuir. Sans compter que sa fierté blessée entrait également en jeu.
Une main pressant sa poitrine douloureuse, il dégaina l'une de ses dagues et la lança sur la femme. Cette dernière dut percevoir le déplacement d'air fuser dans sa direction car elle esquiva d'un bond sur le côté. Stoppant, elle baissa le regard sur la lame qui se planta dans le tronc le plus proche. Ses épaules s'abaissèrent alors qu'elle paraissait comprendre qu'elle n'avait toujours pas réussi à se débarrasser de Royg'ann.
Encore essoufflé, ce dernier se releva et son attaquant se retourna. Une écharpe grise remontée au-dessus de son nez dissimulait son visage et ne laissait apparaître que ses deux immenses yeux d'un vert profond. Au premier regard, elle ne semblait pas être armée mais Royg'ann se méfia.
D'un mouvement vif trahissant son habitude, il dégaina sa lame à l'extrémité légèrement recourbée et la pointa sur la femme. Cette dernière recula d'un pas, non pour fuir mais pour prendre de l'élan et se ruer sur Royg'ann.
Ne se démontant toujours pas, le général s'élança sur elle à son tour en dressant son arme. Ayant pu avoir un aperçu de ses capacités de combattante, il s'attendait à ce qu'elle esquive et prévoyait donc de la bloquer lorsqu'elle éviterait le coup. Sauf qu'elle n'en fit rien.
Les paumes protégées par ses mitaines de cuir, elle saisit la lame à deux mains pour la bloquer. Royg'ann en fut tellement surpris qu'il ignora comment réagir et ce fut aisément que la jeune femme arracha le pommeau à sa prise pour le pousser droit sur son visage, le heurtant au front.
Sonné, il tituba en arrière mais ce coup lui permit de se remettre de sa surprise. A cause du voile rouge qui obscurcit sa vision, il ne put viser et se contenta d'un coup de lame latéral imprécis. Pour l'esquiver, son attaquante roula dessous en se rapprochant de Royg'ann.
Elle était à présent trop proche pour que Royg'ann puisse user de son épée qu'il lâcha immédiatement pour qu'elle ne l'encombre plus. Il ne lui restait plus que le corps à corps.
Encore étourdi par le coup de pommeau, il réagit avec quelques secondes de retard et ne parvint pas à bloquer le poing de son adversaire qui l'atteignit à la trachée. De toute évidence, elle tentait de l'empêcher d'appeler des renforts. Elle le toucha à deux reprises supplémentaires, toujours au niveau de la gorge, avant qu'il ne se reprenne et puisse parer.
Il riposta et l'atteignit à son tour plusieurs fois sans qu'aucun des deux ne prenne l'avantage. Elle continuait à viser la gorge et sa trachée douloureuse ne lui permettait pas de crier pour avertir le reste du campement. Cette femme savait ce qu'elle faisait.
Dans une parade, il la saisit par le poignet et lui tordit le bras pour l'entrainer sur le côté et la projeter derrière lui. Il s'attendait à ce qu'elle perde l'équilibre mais elle se rétablit aussi rapidement que lui.
Royg'ann comprit son erreur trop tard. Son attaquante attendait justement une ouverture pour passer dans son dos et il la lui avait offerte.
Il avait remarqué ses cheveux entièrement défaits mais il ne s'en était pas préoccupé. Il ne comprit qu'elle avait libéré sa chevelure pour récupérer le ruban de cuir qui la nouait et l'utiliser comme garrot que lorsqu'elle l'étrangla en serrant sa gorge.
Toujours pas complètement remis de son étouffement précédent et ayant dépensé de l'énergie dans ce combat, il ne résista pas longtemps et tomba à genoux malgré lui. Par réflexe, il porta les mains à sa gorge pour tenter de desserrer le lien mais il ne réussit qu'à se griffer.
N'abandonnant pas pour autant, il tenta d'atteindre sa seconde dague, toujours glissée dans sa botte, mais sa position ne lui permettait pas de la dégainer. A défaut, il frappa la poitrine de la jeune femme et tout ce qu'il pouvait toucher à coups de coudes et de crâne, autant qu'il le put.
La jeune femme grogna, les dents probablement enfoncées dans ses lèvres mais elle ne le libéra pas. Cette fois, elle s'assura bien que Royg'ann perde réellement connaissance avant de s'élancer vers le campement pour le traverser.
Avant que Royg'ann ne sombre totalement, il entendit une voix féminine qui lui souffla à l'oreille :

« Désolée.

Il ne sut combien de temps il demeura plongé dans l'obscurité de l'inconscience mais il se réveilla subitement dans un sursaut en toussant, reprenant son souffle.
Se redressant, il observa les alentours mais il n'y avait plus aucune trace de son attaquante ou de son complice. Ils lui avaient échappé.
D'un geste rageur, il arrache le ruban de cuir qu'il avait encore autour du cou.
Les sentinelles n'avaient pas bougé. La jeune femme s'était débrouillé pour l'entrainer dans un endroit où personne n'aurait remarqué quelque chose. Elle n'avait rien en commun avec les soldats éduqués aux tactiques militaires qui fonctionnaient par automatisme d'une manière toujours identique. Royg'ann était tombé sur une redoutable et imprévisible adversaire. Il était d'ailleurs étonné qu'elle ait réussi à parer ses coups et à le surprendre. Les elfes noirs étaient pourtant plus rapides et forts que les elfes ordinaires.
Dans le fond, il se sentait surtout furieux. Furieux d'avoir été battu. Son orgueil en prenait un coup.
Malgré son larynx douloureux, il cria à la cantonade, même si il se doutait que la jeune femme ne pouvait probablement plus l'entendre :

– Je te retrouverai ! »

A son hurlement, les gardes réagirent et se précipitèrent vers lui mais Royg'ann n'expliqua rien ni ne donna d'ordre. Il se doutait qu'ils ne trouveraient pas les deux intrus dans le campement ou ses alentours et ils ne pouvaient se permettre de fouiller la forêt sur des kilomètres.
Leur rôle était de protéger la frontière des Terres de Sang de l'Alliance Blanche or, si ils quittaient le camp pour organiser une battue, cette fonction n'aurait plus été remplie. Sans compter que Royg'ann savait qu'il ne s'agissait pas d'une réelle attaque ennemie puisque cette femme était une elfe. C'était donc moins urgent et préoccupant mais ce n'était pas pour autant que Royg'ann comptait l'oublier.
A pas pressés, il regagna sa tente sous les regards surpris de ses subalternes pour s'emparer de sa pierre de contact couleur ambre rouge rangée dans son coffre. Ecrivant sur la surface polie, il avertit les différents responsables militaires des villes du pays de l'incident en précisant qu'il ne s'agissait pas d'une invasion.
Une fois qu'il eût terminé, il se laissa lourdement tomber sur sa couchette avec une grimace. Son corps était perclus de douleurs après cet affrontement.
Ses yeux clos, il revisualisa le déroulement du combat dans son esprit à la recherche de détails ou d'informations sur cette femme, sans grand succès.
Son poing se referma autour du ruban de cuir.
Il comptait bien la retrouver.

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 4 : L'Héritage du Sang [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant