Chapitre 10 - En retard

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Les six jours nécessaires pour gagner la frontière depuis Forèliore parurent bien longs à Richa à cause de son impatience qui lui donnait la sensation que le temps se dilatait et également à cause de la présence de Wolramf.
Ce dernier avait conservé son masque de chef de réseaux mafieux, ce qui avait été difficile à supporter, pour Richa et pour Yennaël. Son attitude suffisante avait réveillé des pulsions meurtrières chez les deux jeunes gens, qui avaient dû lutter contre l'envie de l'étrangler. Tous les prétextes avaient été bons pour formuler des commentaires pédants avec son ton supérieur. Il s'était également permis des réflexions graveleuses sur Richa, comme lors de leurs conversations précédentes.
Jamais Richa n'avait eu à ce point envie d'étrangler quelqu'un que lorsqu'ils avaient traversé le Frios.
Il y eut cependant des instants où l'adolescent avait semblé abandonner ses attitudes désagréables et où son orgueil s'était estompé. Dans ces moments-là, il était simplement redevenu un garçon à la sortie de l'enfance. Ça avait été lorsqu'il avait évoqué le combat contre Yvernew et son souhait que Richa en fasse d'autres. Dès que le sujet était abordé, ses yeux pétillaient.
Le seul réel avantage que Richa avait trouvé à voyager avec Wolramf était que, grâce à ses sens de berserker, dénicher de quoi se sustenter et monter la garde avait été plus simple, et pas seulement durant la nuit. Ses capacités de plantigrade leur avaient également été utiles durant qu'ils marchaient en les aidant à repérer les dangers du chemin, même si les sens de demi-elfe de Richa le leur permettaient également.
Ces aptitudes s'avéraient bien pratiques alors qu'ils approchaient du campement de la Flamme Blanche.
La soirée descendait sur les environs et la Forêt Vermeille les entourait de ses hauts pins, comme c'était le cas depuis quelques jours. L'humidité de l'imposante forêt se renforçait avec l'obscurité. Yennaël avait usé un d'un sort pour être capable de distinguer ce qui l'entourait malgré la nuit approchant, à l'instar de Richa et Wolramf.
Depuis qu'ils avaient quitté Forèliore, ils n'avaient pas relevé de trace de civilisation autres que les anciens champs de bataille, comme ils avaient évité la cabane de Yennaël. Ce dernier n'allait certainement pas montré l'emplacement de son refuge à Wolramf alors qu'il ne lui accordait que moyennement sa confiance. La seule vie qu'ils avaient croisée avait été la faune et la flore locales mais, à présent, ils captaient la présence d'humains. Il s'agissait surtout de traces de passage et de chasses.
Depuis plusieurs heures, ils s'étaient tous trois faits attentifs, tendus et prudents, sachant qu'ils approchaient du danger. Wolramf avait également pris la tête du leur petit groupe pour le guider.
Devant Yennaël et Richa, l'adolescent leur fit signe de stopper, son visage soudainement sérieux et attentif, loin de son comportement coutumier. Toujours en silence, il leur ordonna de se hisser dans les arbres les plus proches. C'était uniquement car elle savait devoir se fier à Wolramf et qu'il connaissait l'emplacement du danger que Richa accepta d'obéir sans s'opposer mais elle grogna néanmoins.
Grimper dans les branchages ne représenta aucune difficulté pour elle et elle put aider Yennaël pour, bien qu'entrainé, ne possédait pas l'agilité d'une demie-elfe.
S'installant à proximité de la cime, elle s'offrit un meilleur point de vue sur les environs et elle découvrit la frontière avec les Terres de Sang, seul royaume de l'Enclave libre de l'influence de la Flamme Blanche.
Richa savait que cette démarcation suivait une chaine montagneuse située plus à l'est dans la forêt, les Monts Vermeilles, mais, là où ils se trouvaient, aucun élément naturel ne marquait la séparation des deux pays. En revanche, une ligne blanche suivait la frontière.
Des tentes, dont la toile blanche était tachée de terre sombre ainsi que d'humidité et partiellement recouverte d'aiguilles de pins, des chevaux à la robe immaculés attachés à des arbres, quelques aménagements sanitaires, des postes de surveillance, des sacs et des coffres, des réserves de bois entassées dans les coins, composaient ce campement. Des hommes, dont les uniformes n'étaient pas aussi impeccables que ceux des Hommes Blancs rencontrés en ville, hantaient les lieux avec une expression marquée, le regard lourd et fatigués, les traits tirés et les épaules voutées. Ils semblaient épuisés.
Prolongeant son observation depuis le campement, Richa chercha à apercevoir celui des Terres de Sang, qui gardait l'autre côté de la frontière, sans succès. Les ennemis devaient certainement se cacher de leurs adversaires en profitant de l'avantage qu'ils avaient à être sur leur terrain.
Avec la nuit qui tombait sur la frontière, les soldats en blanc allumaient quelques lanternes aux volets rabattus pour pouvoir distinguer ce qui les entourait sans risquer que la lumière n'indique leur position sur plusieurs mètres. La relève était en train de s'effectuer et d'autres Hommes Blancs remplaçaient leurs collègues au poste de surveillance.
Ceux-ci se trouvaient régulièrement placés tout le long du campement sans laisser d'angle mort ni de possibles passages. Même les latrines, placées à l'écart, étaient gardées par un Homme Blanc, certainement ravi d'avoir hérité de ce poste. Celui-ci servait de punition dans le camp.
Se demandant comment Wolramf comptait leur faire traverser cette première ligne de front, Richa se concentra sur les alentours à la recherche d'un chemin dissimulé sans rien repérer. Elle n'en était cependant qu'à moitié perplexe. Si il y avait bien un passage utilisé par des Humcréas clandestins, il devait certainement être particulièrement discret et on ne pouvait probablement pas le trouver sans en connaître l'emplacement au préalable. Peut-être était-ce un tunnel aménagé sous le campement, à moins que Wolramf ait réussi à corrompre un Homme Blanc d'une manière ou d'une autre.
Un juron soufflé à voix basse attira l'attention de la jeune fille sur l'arbre à la gauche de celui dans lequel elle s'était installé avec Yennaël. Apparemment, Wolramf ne jouissait pas non plus de l'aisance de Richa dans les frondaisons. Heureusement qu'il avait l'habitude de cet exercice, sinon, il aurait encore été au pied du tronc.
Passant une main dans ses cheveux en agitant ses mèches, il se débarrassa d'aiguilles de pins et des brindilles s'étant glissé dedans durant son ascension compliquée. Percevant le regard de Richa et Yennaël, il se tourna vers eux. Ni l'un ni l'autre n'eut besoin de formuler la question qu'ils se posaient pour que le berserker la devine et y réponde.
Plutôt que de leur expliquer comment ils allaient franchir la frontière, il le leur montra d'un doigt dressé vers le haut, sachant qu'ils n'auraient aucune difficulté à voir dans la nuit. Suivant cette indication, Richa et Yennaël levèrent les yeux vers les hauteurs des arbres, qui les dominaient d'encore quelques mètres.
Au sommet des pins, était installé un assemblage d'épais cordages qui formaient une échelle de cordes suspendue au-dessus du campement de la Flamme Blanche et nouée aux arbres qui s'élevaient de l'autre côté à plusieurs mètres.
Richa écarquilla les yeux. Elle peinait à croire que les Hommes Blancs n'avaient jamais repéré une telle installation mais tous les branchages et les frondaisons alentours dissimulaient parfaitement les cordages. La hauteur aidait également à camoufler l'échelle. Sans compter que l'emprunter uniquement à la faveur de la nuit garantissait plus de discrétion, surtout alors que les Hommes Blancs s'éclairaient à peine de leurs lanternes faibles pour ne pas se faire repérer. De toute manière, c'était certainement la meilleure solution pour franchir la frontière dans les conditions présentes.
Avant que Wolramf ne s'engage sur l'assemblage de cordages, Richa bondit depuis sa branche pour saisir le premier échelon de corde, après s'être hissé à proximité du sommet. Le chemin à suivre étant tout tracé avec cette échelle, elle n'avait plus besoin que le berserker la guide, pour les prochaines minutes en tout cas.
Trouvant rapidement son équilibre, la jeune fille remonta l'échelle, attrapant les échelons les uns après les autres, tournée vers le bas et non vers le haut. Le camp de la Flamme Blanche se déroulait sous elle, plusieurs mètres plus bas et la brise qui soufflait dans les frondaisons faisait se balancer les cordages mais pas avec suffisamment de force pour lui faire lâcher prise.
L'imitant, Yennaël s'engagea à son tour sur l'échelle après avoir vérifié que son sac de voyage était bien fermé. Plus lourd que Richa, il rencontra davantage de difficultés à se stabiliser sur les cordes, qui se détendirent sous son poids.
L'échelle se tordit en s'agitant, si bien que Richa préféra stopper le temps que Yennaël parvienne à conserver son équilibre et adopte le bon rythme pour progresser.
Dès qu'il eût avancé de quelques mètres, Wolramf les rejoignit en fermant la marche. L'adolescent ne se révéla guère plus assuré sur les cordes que dans les branchages. À cause de ses mouvements anarchiques trop brusques, l'échelle se retourna subitement en se tordant.
Les ongles de Richa s'enfoncèrent dans ses paumes alors qu'elle s'agrippait fermement à l'échelon pour ne pas chuter alors que l'assemblage de cordes retombait lourdement et violemment dans le bon sens.
Les jambes de Yennaël glissèrent et il ne se tint plus qu'à un seul échelon autour duquel il serra fortement ses poings. Un regard vers le bas lui confirma que la chute ne l'aurait pas laissé indemne. Probablement aurait-elle été mortelle. Sans compter que leur discrétion et le secret de l'existence du passage auraient été compromises.
S'efforçant de ne pas se laisser gagner par la panique, Yennaël prit une profonde inspiration pour conserver son calme autant que possible puis, gagnant de l'élan en se balançant, ce qui secoua à nouveau l'échelle en tous sens en obligeant les deux autres à s'accrocher de toutes leurs forces, il lança ses jambes vers l'avant et parvint à les nouer autour des cordes.
Richa retint une exclamation en se mordant les lèvres pour sommer Wolramf de faire attention en ponctuant cet ordre d'une insulte. Si elle avait crié, qu'importe la hauteur à laquelle se situait l'assemblage de cordages, les Hommes Blancs du campement les auraient repérés. A défaut de pouvoir reprocher plus vivement sa brusquerie à Wolramf, elle se contenta de grommeler en reprenant sa progression après avoir vérifié que Yennaël était à nouveau solidement agrippé à l'échelle.
La brutalité de Wolramf s'avéra finalement ne pas être qu'une partie du costume de chef de trafiques mais bien appartenir à ses manières car, malgré sa tentative pour être plus délicat, ses mouvements restaient brutaux et agitaient l'échelle.
A cause de tous ces soubresauts qui agitaient les cordages, les remonter jusqu'à l'arrivée exigea bien plus d'efforts que nécessaire dans d'autres conditions. Sans le déséquilibre presque constant qu'imposa Wolramf, il leur aurait été bien plus simple, et même aisé, surtout pour Richa, de remonter l'échelle.
A la place d'une étape rapidement franchissable sans pour autant être anecdotique, il leur fallut de longues minutes fatigantes qui épuisa leurs muscles, qui faiblirent et tremblèrent. Rester suspendus en bas à saisir les échelons au-dessus de leur crâne devint une véritable épreuve. Leurs paumes couvertes de sueur échappaient leur prise et ils eurent besoin de se rattraper à plusieurs reprises.
Lorsque Richa atteignit l'arbre auquel la seconde extrémité de l'assemblage de cordes étaient attachée, elle soupira de soulagement. Posant les pieds sur la branche inférieure puis lâchant ensuite les cordages, elle se réceptionna en douceur, pas mécontente d'en avoir terminé avec cette échelle. La main tendue, elle aida Yennaël à descendre à son tour et elle en profita pour voler un baiser au jeune homme, le serrant contre elle.
Wolramf s'écrasa à moitié sur la branche à côté d'eux. Il se releva dans un grognement. L'image qu'il s'appliquait à créer se fragilisait grandement.
Il aurait pourtant dû avoir coutume de cet exercice avec tous les Humcréas qu'il escortait de l'autre côté de la frontière mais, habituellement, il se métamorphosait pour contourner le campement sous sa forme d'ours. Personne n'aurait été étonné de croiser un tel animal dans la forêt et, ainsi, si jamais le reste du groupe se faisait repérer, il pouvait s'échapper aisément, cependant, avec ce qu'il aurait pu qualifier de clients de marque, il préférait rester avec eux pour surveiller son ''investissement''. Si ça n'avait pas été pour Yennaël Lanwil et sa nouvelle idole, il ne se serait pas épuisé de la sorte et il ne recommencerait certainement pas.
Il se sentait éreinté par cette épreuve qu'il venait de franchir. D'ailleurs, il se remettait à peine debout sur ses jambes tremblantes en s'appuyant contre le tronc que Richa entamait déjà la descente de l'arbre pour sauter au sol.
Se rapprochant des Terres de Sang mètre après mètre, la jeune fille était à nouveau la proie de l'impatience et elle ne tolérait pas la moindre perte de temps. Ce trajet l'amenait vers la vérité sur ses origines et il n'était pas question que quoi que ce soit la retarde.
Yennaël la rejoignit avec un peu moins d'aisance et ils durent rattraper Wolramf pour l'empêcher de s'aplatir à terre. Secouant la tête de gauche à droite, l'adolescent remit ses pensées en place en grognant pour son orgueil blessé.
Se drapant dans ce qu'il lui restait de dignité, le berserker reprit la tête de leur petit groupe pour guider Richa et Yennaël entre les arbres.
S'éloigner du campement de la Flamme Blanche les rassura et les soulagea tous trois. En laissant le danger derrière eux, ils se détendirent légèrement mais restèrent attentifs.
Richa se concentrait sur les environs en quête de traces de la ligne de front des Terres de Sang mais sans davantage de succès que précédemment. De toute évidence, les soldats sanguiliens savaient mieux se camoufler que leurs homologues en blanc.
A la suite de Wolramf, ils gagnèrent un affleurement rocheux couvert de mousse et de lichen qui s'élevait sur quelques mètres entre les arbres. La région était probablement propice à ce genre de formations avec la proximité des Monts Vermeilles, bien qu'ils soient situés à plusieurs kilomètres.
Gravir les roches se révéla quelque peu compliqué pour eux, non pas à cause de l'obscurité mais de l'état de fatigue dans lequel le passage de l'échelle de cordes les avait laissés. Heureusement, ils ne montèrent pas jusqu'au sommet. Wolramf s'arrêta dans une profonde niche naturellement creusée dans la roche qui se rapprochait de la petite grotte.
S'y installant, il entassa du bois mort trouvé aux alentours pour faire un petit feu de camp qui éclaira la niche. Même si tous trois pouvaient actuellement percer les ténèbres de leur regard, il était plus agréable de profiter de cette lumière naturelle. A moins que ce ne soit un signal pour le contact de Wolramf.
Ce dernier s'assit au sol devant les flammes dans une position d'attente, la joue écrasée dans sa paume. De toute évidence, ils allaient devoir patienter dans cet endroit le temps que son contact les rejoigne pour les guider.
Préférant néanmoins le confirmer clairement et être certain de ce qu'ils faisaient, Yennaël demanda à Wolramf, les bras croisés sur la poitrine :

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 4 : L'Héritage du Sang [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant