Chapitre 4 - La maison du magicien

28 7 2
                                    

Après avoir passé le reste de la journée et la nuit chez Diëël sur une installation spartiate au milieu du désordre de l'atelier, Richa et Yennaël avaient pris congé du peintre pour poursuivre leur chemin. Malgré la légère tension qui avait flotté entre Diëël et Yennaël, à cause de la jalousie exprimée par ce dernier, ils avaient préféré dormir chez le peintre plutôt que s'y risquer à Port Blanc.
Quitter Diëël fut aussi compliqué que la première fois pour Richa mais elle ne le fit qu'après avoir promis au peintre de revenir admirer ses prochains portraits. Elle s'était senti apaisée de constater qu'elle pouvait encore compter sur d'autres de ses connaissances dans l'Enclave mais l'angoisse la saisit cependant à nouveau dès que la ville éclatante de blancheur l'entoura. Sans compter que la mention de Blanche qui se déchainait l'inquiétait en contribuant à son anxiété.
Traverser les Collines Blanches occupa une partie de leur journée mais ils ne prirent pas le temps de s'arrêter à Port Blanche, jugeant cela bien trop risqué, surtout alors qu'ils étaient si repérables, entre le visage camouflé de Yennaël et le tableau enveloppé dans du tissu qu'il transportait sur son dos. A la place, ils suivirent le chemin le plus court pour s'extirper de la cité blanche en empruntant le deuxième des trois ponts enjambant le canal qui se jetait dans l'océan et reliaient les deux parties de la cité.
Ils se reposèrent dans les champs qui entouraient Port Blanc avant de reprendre leur voyage. La première nuit à la belle étoile de toutes les autres qui s'enchainèrent par la suite.
Le trajet dura une dizaine de jours qu'ils occupèrent uniquement en marchant et conversant. Yennaël s'appliqua également à réconforter Richa qui souffrait de crises d'angoisse récurrentes. Durant les trois jours qui furent nécessaires à atteindre le frontière des Terres de Forêt, elle resta tendue et inquiète, devant régulièrement ravaler ses larmes.
Dès qu'ils l'eurent franchie, la douleur dans son dos la tourmenta moins, même si elle continua à percevoir chacun des traits tracés par le fouet dans sa chair une fois aux Terres de Forêt.
Richa se souvenait de la misère qu'elle avait observée à Forèliore il y avait quelques temps mais elle découvrit que celle-ci s'étendait largement hors de la capitale. Les champs qu'ils arpentèrent n'étaient plus que rarement cultivés, les paysans quittant le royaume pour les Terres Intérieures. La majorité majorité était laissée en friches et certains avaient même été ravagés, partiellement brûlés et dévastés. Plus ils s'approchaient de la frontière des Terres de Sang et de celle de la Forêt Vermeille, plus le paysage se composait de ces cultures saccagées.
La faute revenait aux affrontements avec les Terres de Sang qui se produisaient parfois à l'intérieur du territoire. Les plus gros dégâts se situaient de l'autre côté du fleuve Frios, qu'ils traversèrent tant bien que mal. Une fois le cours d'eau franchi, ils s'enfoncèrent dans les sous-bois de la Forêt Vermeille, composée de pins aussi hauts que sombres.
Malgré son excellent sens de l'orientation, Richa peina à se retrouver parmi les nombreux troncs. Tout se ressemblait sous le couvert des frondaisons. En revanche, Yennaël paraissait parfaitement savoir où il se dirigeait. Visiblement, il connaissait fort bien les lieux. La seule chose qui l'entravait dans sa progression était la toile qu'il portait sur ses épaules.
Ils passèrent une dernière nuit à l'extérieur sous les pins avant d'atteindre leur destination : la maison de Yennaël, nichée sous les arbres à quelques kilomètres de la frontière des Terres de Sang.
Grâce à son emplacement dans la forêt impossible à découvrir sans le connaître au préalable, elle était parfaitement dissimulée. Il s'agissait d'une cabane en bois brute qui s'élevait sur un unique étage, bien qu'une pièce supérieure avait été aménagée sur le toit, signalée par une fenêtre circulaire ainsi que par une avancée pouvant servir de balcon. Elle était d'ailleurs pourvue d'une balustrade en rondins. La soutenant, d'autres rondins servaient de piliers tout en délimitant une terrasse de planches qui formaient un prolongement du palier.
Une autre fenêtre s'ouvrait sur la façade, à côté de la porte, occultée par un épais rideau de peau.
Pour terminer, une étroite cheminée flanquait le toit. L'intérieur était certainement protégé par quelque chose pour éviter qu'elle ne brûle dès qu'on l'allumait mais Richa ignorait quoi.
La jeune fille ne s'attendait pas à découvrir une habitation se rapprochant des chalets qu'on trouvait sur Terre. Elle s'était figuré quelque chose de plus modeste lorsque Yennaël lui avait parlé d'une cabane bâtie par ses propres soins et elle était assez impressionnée, même si la magie avait certainement aidé à cette construction.
S'avançant jusqu'à la porte, Yennaël croisa les doigts pour effectuer un rapide sort sur le battant. La magie s'avérait probablement plus sûre qu'une simple serrure verrouillée. La cabane était certainement protégée par la même sécurité magique que celle dont il avait protégé la remise à Plainiore, celle qui leur avait permis de se rencontrer.
Ouvrant la porte d'un coup d'épaule, chargé du portrait, Yennaël invita Richa à entrer à sa suite.
Le désordre régnant à l'intérieur n'avait rien à envier à l'atelier de Diëël sauf que, à la place du matériel de peinture, il s'agissait d'ouvrages, pour la plupart ouverte et aux pages marquées, ou de carnets de notes qui occupaient autant d'espaces que possible. Il y en avait sur le manteau de la cheminée coincée sous les escaliers contre le mur de droite, dans les deux étagères qui l'encadraient, sur le divan rembourré de paille poussé sous la fenêtre perçant le mur du fond, dans la bibliothèque surchargée à gauche de la porte, sur la table circulaire et sur les deux chaises l'entourant, qui trônaient au centre de la pièce, sur les marches menant à la mezzanine à l'étage, sur le vieux piano à queue situé dans l'angle gauche formé par le mur du fond et celui de gauche ainsi que sur le tabouret allant avec et même sur le parquet craquant du sol.
Une autre pièce apparaissait par l'arche s'ouvrant dans le mur de droite, entre le piano et la bibliothèque. D'après ce que Richa pouvait en apercevoir, il s'agissait d'une large cuisine avec un évier, un fourneau et tout le nécessaire pour cuisiner durant des heures. Encore une fois, Richa ne s'attendait pas à un tel équipement pour une cabane dissimulée dans la forêt.
Quant à l'étage, il ne s'étendait que sur la moitié de la superficie de la cabane en des combles sous le toit, ouvert et sécurité par une balustrade moins imposante que celle de l'extérieur. Il semblait être utilisé comme chambre et il paraissait être tout aussi en désordre que le rez-de-chaussée.
A en juger par l'allure de cet intérieur et d'après les souvenirs des différentes chambres que le jeune homme occupait dans les maisons closes de l'Enclave, le rangement n'était nullement une habitude pour Yennaël, au contraire. Etrangement, Richa trouvait cela assez attendrissant.
Avec un soupir d'aise, Yennaël déposa le portrait et son sac de voyage sur le divan, parmi les ouvrages, puis il retira son manteau en étirant son dos avant de sourire :

Le Souffle de Kaëv'ah - Tome 4 : L'Héritage du Sang [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant