Chapitre 39

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Ils galopèrent deux jours sans se retourner. Lyra n'avait même plus conscience de son corps tant il était maltraité par la prison et la course effrénée à cheval. Seuls les bras et le torse de Kayden lui évitaient une chute certaine. Le chef de la garde sentait le poids de Lyra reposé sur lui. Elle était épuisée, faible et son front fiévreux l'obligeait à fermer les yeux. Les premières heures de fugue, elle fut prise de violentes migraines qui furent bientôt accompagnées par une forte fièvre, puis des évanouissements plus ou moins longs. Bien qu'inquiet, Kayden ne pouvait pas s'arrêter. Il devait absolument poursuivre son chemin. Arriver le plus vite possible au château, c'était être à l'abri, prévenir Thelma, et soigner Lyra rapidement. Tout ce qu'il pouvait faire pour le moment, c'était de la serrer encore plus dans ses bras et accélérer le mouvement. Même pour lui, le voyage était difficile. Sa vue se brouillait par manque de sommeil et la faim lui provoquait des crampes, tordant son ventre de douleur.

Lorsqu'ils arrivèrent enfin devant les portes du château de Silverthrown, il faisait nuit noire. Kayden descendit le premier. Ses jambes arquées et son dos tendu étaient la preuve que le chemin avait été laborieux. Lyra, à demi-consciente, était incapable de ne lever ne serait-ce qu'une jambe. Elle se laissa alors tomber sur le côté, rattrapée de justesse par son compagnon de fugue. Stardust, tout aussi exténué que ses cavaliers, était plus sensible qu'à l'accoutumée. Elle piétinait en arrière, soufflant bruyamment, les naseaux dilatés et les yeux fous.

— Du calme ma belle, essaya de rassurer Kayden une main tenant les rênes, l'autre soutenant désespérément Lyra. Vous deux, venez m'aider !

Les deux gardes qui surveillaient jusqu'alors les portes du château regardèrent d'un œil mauvais l'homme qui leur hurlait dessus. Sa voix ne leur était pas inconnue, mais ce visage. Les lumières des lampadaires leur renvoyaient l'image d'un homme d'une trentaine d'années, peut-être un peu moins, trois larges cicatrices barrant son visage, des cernes affreusement creusées mais un regard capable de vous anéantir sur place.

Un personnage comme lui ne passe pas inaperçu et on ne pouvait que se rappeler de telles marques sur une trogne. Mais eux ne l'avaient jamais vu nulle part. Alors, il s'en méfiait, même si la carrure de l'inconnu insufflait le respect.

— Mais bougez-vous ! C'est un ordre ! hurla Kayden.

Le plus grand des deux soldats avança d'un pas, la main sur la garde de l'épée. Mais l'autre le stoppa.

— Chef ? demanda-t-il peu convaincu.

— Je te jure Bartolomé Foung, que si tu ne viens pas immédiatement, je retire tes permissions pour les dix prochaines années !

— Chef ! s'exclama-t-il à présent certains que l'étranger en face de lui était le Renard doré.

Il dévala les escaliers et s'occupa de maintenir Stardust.

— Mais que vous est-il arrivé ? questionna le second garde tout en aidant le Renard doré à soutenir la jeune femme par les épaules.

— Je vous raconterai tout, mais avant ça faites appeler la doctoresse. Et je dois absolument voir sa Majesté. Ambrume est en guerre.

-§-

Du vert. Du vert partout. Aux murs, au plafond, au sol. Du mobilier aux tableaux. Un vert tourbillonnant et nauséeux.

Thelma était assise sur un sofa vert sapin. Les mains jointes sous son menton. Pensive. Son regard perdu dans le vide. Sur ses cuisses dormait comme à son habitude Archibald. Le chat ne comprenait pas les tourments de sa maîtresse, mais il était bien installé, alors c'était le principal pour lui.

On toqua trois coups à la porte. Elle sembla à peine les entendre.

— Je me disais bien que tu étais ici, déclara Ellyana en entrant dans le Salon d'Émeraude. Je reviens du chevet de la petite Merryweather et de notre garçon. Ils sont dans un état épouvantable. C'était une folie de les envoyer dans cette mission suicide !

Thelma ne bougea pas, mais ses épaules tremblèrent. Un mouvement imperceptible que seule la femme qui la connaissait le mieux, dans le monde entier, pouvait percevoir.

Alors la reine consort se dirigea jusqu'à sa femme et posa ses mains sur ses épaules. Elle en profita pour caresser la tête du matou. Devant elle, une cheminée. Sur le portant en marbre blanc, une imposante horloge faite d'or et d'émeraude. Et au-dessus, le cadre doré d'un tableau sans peinture.

— Je me demande toujours pourquoi tu n'as pas voulu qu'on change cet horrible endroit. Il me fait froid dans le dos, s'interrogea Ellyana, un frisson parcourant son corps.

Mais la reine resta muette, plongée dans ses pensées.

— Mon cœur ?

— Ce salon, c'est la part d'ombre de notre Histoire. C'est pour me rappeler que la menace est toujours présente. Il est toujours présent. Que même si on a retiré ce tyran du pouvoir, il y a été. Et qu'il peut encore revenir. Enfin, je dis ça comme si c'était une option, Thelma laissa échapper un soupir, elle se frotta les yeux d'une main et continua. Ellyana, nos informateurs sont formels. Kayden est formel. Childéric revient prendre sa revanche.

Ellyana retira instantanément ses mains des épaules de Thelma pour les plaquer contre sa bouche.

— Mais je te jure que cette fois, son châtiment ne sera pas la grâce d'un exil. Seule la mort attendra cet infâme tyran. 

La Conteuse & le Renard doré - En réécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant