Chapitre 44

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Deux jours.

C'est ce qu'il a fallu à Childéric et son armée pour détruire la défense des soldats de Silverthrown.

Il y a peu de temps encore, les rires et les commérages s'élevaient dans les tours du château. Maintenant remplacés par les coups métalliques des épées et les hurlements de douleur.

La nouvelle infirmerie, aménagée par les domestiques dans la grande salle, était pleine à craquer. Des hommes et des femmes le corps mutilé, le visage tuméfié, l'âme égarée. Les médecins ne savaient plus où donner de la tête. Les plantes médicinales s'amenuisaient et les blessés s'amoncelaient. Ellyana, pour soutenir son peuple, venait en aide à l'infirmerie. Mais à part panser les plaies des souffrants, les aider à manger ou parler avec eux, elle se sentait inutile. Et terriblement inquiète pour sa femme qui se battait en tête de l'escadron.

Archibald aussi était bloqué à l'infirmerie. Ellyana avait tellement peur que le chat ne soit blessé pendant l'attaque qu'elle l'avait prise avec elle. Interdiction de sortir. Une hérésie pour lui qui se faisait un devoir de chasser les souris et les oiseaux. Bien que bougon à cause de cela, il apportait du réconfort aux blessés.

Deux jours.

Deux jours que Lyra n'avait pas vu Kayden, Alphonse ou Damien. Elle passait, dès qu'elle le pouvait à l'infirmerie, afin de s'assurer que les trois hommes n'étaient pas alités, aux portes de la mort. Elle en profitait pour rendre visite à Ellyana et prendre des nouvelles du front. La reine lui expliqua que Childéric avait réussi à passer les remparts mais n'avait pas encore pénétré dans le château. Mais ce n'était plus qu'une question de temps.

Dans les cuisines, l'atmosphère n'était pas plus festive. Une partie des domestiques s'affairait à nourrir l'armée. Ils faisaient du pain, sortaient du fromage et du vin des caves, faisaient cuire de la viande et des légumes, coupaient les pommes de terre... Des repas simples, mais qui tenaient au corps.

Lyra était lente par rapport à ses camarades. Quand Madeleine terminait d'éplucher quatre carottes, Lyra entamait tout juste la deuxième. Chaque main était une aide importante, elle le savait. Mais elle détestait être à la traîne.

Justement, Lyra était occupée en cuisine. Un petit groupe de domestiques s'était attroupé autour d'elle et lui demandait des nouvelles. La jeune femme ne voulait pas les inquiéter, mais l'avenir n'était pas en leur faveur.

Une vague de cris s'engouffra dans le sous-sol, se répercutant entre les murs de la cuisine. Tous les membres des personnes présentes se figèrent l'espace d'un instant. Lyra aussi ne bougeait plus, pétrifiée. Elle sentait son cœur battre dans ses oreilles. Son instinct de survie lui hurlait de s'enfuir, pourtant ses jambes ne répondaient pas.

Elle retrouva ses esprits en voyant Madeleine agenouillée sur le sol, les larmes déferlant sur ses joues. À sa droite, la lame d'un couteau de cuisine goûtait d'un liquide rouge sur le sol. La jeune fille tenait sa main ensanglantée. Dans la panique, Madeleine s'était coupée entre le pouce et l'index. Lyra se précipita vers elle et pressa un torchon contre la plaie. Le morceau de tissus s'imprégnait immédiatement du sang de la domestique. Lyra ne parvenait même pas à analyser l'étendue des dégâts tant le sang s'écoulait.

— Mademoiselle Lyra, qu'est-ce qu'on fait ? demanda un des cuisiniers, la peur dans les yeux.

— Madeleine a besoin d'aller à l'infirmerie. Je vais l'accompagner. Vous, restez ici, enfermez-vous, mettez au sol tout ce qui pourrait être susceptible de tomber et de vous blesser en cas d'explosion. Comme les casseroles, les jambons, les ustensiles... Courage Madeleine, on va montrer ça à un médecin, annonça Lyra en entourant la main de Madeleine dans le torchon.

Heureusement, un couloir souterrain menait de la cuisine à la grande salle. C'était un passage qu'empruntaient d'ordinaire les domestiques afin de servir au plus vite les plats lors des banquets.

Les larmes de Madeleine ne cessaient de couler, entrecoupées de reniflement. Lyra ne pouvait que lui chuchoter : Ça va aller, on est bientôt arrivée.

Et effectivement, les deux femmes posèrent bientôt les pieds sur le sol carrelé de la grande salle, ou plutôt de l'infirmerie.


Lyra reconnut au loin la doctoresse qui avait pris soin d'elle à son retour d'Aldonya. Elle accompagna Madeleine jusqu'à elle. La pauvre domestique avait perdu son teint de pêche et le rose de ses joues.

— Excusez-moi de vous déranger, on a une petite urgence, déclara Lyra à la doctoresse qui leur tournait encore le dos.

— Désolée, mais en ce moment tout est une urgence, renchérit la femme en blanc.

— Je sais mais nous avons besoin de vous.

La femme se retourna vers cette enquiquineuse en soufflant. Ses yeux se posèrent immédiatement sur le torchon ensanglanté. Elle contempla dans un premier plan la plaie avant de s'intéresser à l'identité des deux personnes qui lui faisaient face. Le visage de la plus jeune des deux ne lui était pas familier, par contre la brune aux yeux de braise ne lui était pas inconnue.


~§~


Deux jours que Kay n'avait pas vu Lyra. En réalité, jusqu'ici il n'avait pas encore pensé à elle. La situation était grave. Ses hommes tenaient bon pour le moment. Mais jusqu'à quand ?

Le chef de la garde voyait ses soldats tomber les uns après les autres. Le Renard doré bouillonnait de rage. Il ne désirait plus qu'une chose : trancher lui-même la tête de cet immonde renégat de Childéric.

Thelma de son côté s'épuisait à vue d'œil. La reine n'avait rien perdu de son charisme et de sa force. Mais il fallait être honnête, elle n'était plus aussi jeune que lorsqu'elle s'est battu la première fois pour Ambrume. Ses yeux bleus étaient encerclés par de larges cernes violacés. Ses lèvres, continuellement pincées, gonflaient et ses sourcils froncés marquaient un peu plus le passage du temps sur sa peau. Son teint prenait une couleur jaunâtre, sans doute dû à la fatigue et l'inquiétude. Pourtant, elle menait d'une main de maître ses soldats. Ses ordres étaient toujours clairs, justes et stratégiques. Thelma était le genre de souveraine que l'on suivait coûte que coûte, jusqu'à jusqu'à la mort. Et c'était un honneur de mourir à ses côtés.

Kayden n'avait pas eu le temps de lui parler de lui, d'eux, de leur relation. Il voulait lui dire tant de choses et pourtant il s'en sentait incapable. Comment Lyra faisait-elle pour être si franche dans ses sentiments ?

Dès que le chef de la garde faisait face à la reine et qu'il s'efforçait de la voir comme une autorité parentale, il redevenait le petit garçon apeuré de la tour. De toute manière, ce n'était pas le moment.

— Attention ! hurla Thelma.

Kayden pivota sur lui-même et, du bout de sa lame, lacéra le ventre d'un soldat ennemi. Le malheureux était fier d'avoir percé la défense redoutable de l'armée d'Ambrume. Il pensait pouvoir affronter seul le fameux Renard doré. Ça oui, il était fier. À présent, un sourire de triomphe restera gravé sur ses lèvres, à tout jamais.

— C'est pas passé loin, souffla Kayden. Ils sont de plus en plus nombreux à passer nos barrières.

— On est pris au piège dans notre propre château, fulmina Thelma. Le problème c'est qu'ayant vécu ici, cette pourriture de Childéric connaît bien le champ de bataille.

— Il le connaît bien...

Une idée folle traversa l'esprit du Renard doré.

— Votre Majesté, vous m'avez expliqué que de nombreux passages traversaient les sous-sols du château, comme celui menant des cuisines à la grande salle.

— Oui, je me souviens te l'avoir dit quand tu étais enfant. Tes grands yeux curieux s'étaient agrandis en entendant cette histoire. Tu étais si mignon à vouloir les cartographier, se remémora Thelma rêveuse en se souvenant de la petite bouille de son protéger.

— Votre Majesté, interrompit-il gêné par ce souvenir peu adéquat à la situation actuelle.

— Oui, les souterrains, en effet. Il en existe de nombreux

— Et Childéric les connaît ?

— J'imagine pour la plupart, oui.

— Parfait. On va tout faire pour lui faciliter l'entrée au château alors.

Plusieurs gardes à proximité des deux supérieurs arrêtèrent un instant leur tâche, accablés par le plan de leur chef. C'était de l'inconscience.

— Très bien, conclut la reine. Tu es devenu complètement fou mon garçon.

La Conteuse & le Renard doré - En réécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant