Chapitre 34

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Il faisait froid ici. La faible lueur des torches se reflétait sur la surface en pierre. Quatre murs, une porte en fer forgée et une malheureuse couche de paille en guise de lit, voilà tout ce que possédait Lyra à présent. L'odeur des cachots, rance et humide, lui grattait la gorge. Son corps était poisseux, comme le pelage de ses colocataires moustachus aux grandes oreilles.

Après sa confession, Opale avait ordonné aux gardes de jeter Lyra en prison. Ils étaient passés par une issue secrète, une ouverture cachée dans la pièce circulaire, derrière une large tapisserie représentant une licorne d'un blanc pur.

Le grondement de son estomac résonna dans toute la cellule. Elle avait faim. Terriblement faim. Depuis quand n'avait-elle pas mangé ?

La véritable question à se poser était : depuis combien de temps était-elle là ?

Aucun moyen de connaître l'heure, aucun moyen de discerner la luminosité dans le ciel, aucun moyen d'entendre les oiseaux de nuit ou les oiseaux de jour.

Elle avait dormi. Un peu. De toute façon, que pouvait-elle faire d'autre. À part se répéter en boucle «l'ascension du lion, le poussin, le nouveau soleil» encore et encore. Elle ne devait surtout pas oublier.

Pour le nouveau soleil, elle avait une idée plausible. Dans les royaumes du nord comme Ambrume, Aldonya mais également leur voisin Astrav, une vieille légende, devenue conte pour enfant, parlait de deux soleils. Celui d'hiver qui refroidit les cœurs et celui d'été qui à l'inverse les réchauffe.

Ils étaient en ce moment même à la fin de la période hivernale, le nouveau soleil pourrait faire référence à celui d'été.

Prévoient-ils de faire libérer Childéric cet été ? Si rapidement ? Au moins l'effet de surprise serait réussi.

Mais alors si l'ascension du lion signifiait le retour de Childéric. Qui pouvait être le poussin. Quelqu'un de petit et jaune ? Non réfléchit Lyra, c'est idiot ce que tu dis. La faim lui tiraillait les entrailles, brouillant ses pensées et ses réflexions.

Plus son ventre gargouillait et plus elle se remémorait l'appétissant canard en sauce de Maximilien ainsi que les délicieux choux à la crème d'Antonio.

Arrête, tu te tortures toute seule.

Alors, le poussin. Une personne jeune, sûrement. Naïve, sans doute. Bruyante, peut-être. Et pour qu'ils doivent se cacher, c'est que ce doit être quelqu'un d'important...

Lyra réfléchit. À chaque fois qu'elle pensait à ces quatre caractéristiques, une seule personne lui venait en tête. Mais c'était impossible. Pourtant, son visage lui revenait toujours. Mais ce n'était pas logique.

Son esprit eut le dernier mot et comme si lui hurlait son nom, Lyra abdiqua.

Pouvait-il s'agir de Jude de Lior ? Iel était jeune, plus jeune que Lyra. Naïf.ve, ça elle avait pu s'en rendre compte. Et bruyant.e, oui ça lui correspondait bien. Mais alors cela signifiait qu'iel n'était au courant de rien. Pourquoi lui cacher le retour de Childéric ? Au contraire, si le royaume d'Aldonya était avec les partisans de l'ancien roi, Thelma et Ellyana perdraient certainement le trône, et la vie.

Le jeune femme était dans l'incompréhension la plus totale. Et elle avait toujours faim.

Plusieurs claquements de semelles contre les pavés vinrent masquer les supplications ventrales de Lyra. Un homme de taille moyenne, encapuchonné, pria les gardes qui l'encerclaient de le laisser seul avec la prisonnière. Après un court silence, ils s'exécutèrent, les pas militaires s'éloignant pour laisser place au silence.

— Tu as vraiment cru que j'étais idiot à ce point ?

— Je ne t'ai jamais considéré comme idiot Lysandre, répondit Lyra tout en se relevant.

Le duc de Lomond apparu sous le capuchon foncé. Égal à lui-même. Même entouré de crasse et de misère, il était beau.

— Oh vraiment ? Une sous noble, fraîchement devenue Ambassadrice des arts, arrive à la capitale d'un royaume longtemps ennemi sans réel motif. Elle fait de l'œil au fils de la première ministre comme par hasard, puis le chef de la garde de son royaume la rejoint quelques jours plus tard. Je trouve ça un peu gros, pas toi ?

Elle ne répondit pas. Exposé comme ça, c'était carrément gros. Comment avait-elle pu penser une seconde que cela fonctionnerait ?

— Ah oui, et ton père qui est en prison. C'était bien joué. Pour une fois que ce n'est pas un mensonge. Cependant, d'après des informateurs, il serait traité avec respect et courtoisie. Étrange pour un traître et un seigneur sans aucun rang.

Toujours muette, elle le fixait. En réalité, il lui était impossible de lui en vouloir. Il l'avait trahie certes, mais c'était tout de même elle qui l'avait manipulé en premier.

— Lyra, Lyra, Lyra, répéta-t-il mollement. Tu es une piètre menteuse et une espionne incapable. Mais, tu aurais été une amante parfaite. Tant pis, j'ai tout de même pu en profiter un peu. Dommage que cela ait été si court.

Il fit passer à travers le bas de la grille un morceau de pain. Tout en raclant le sol, le quignon sec se fendit en deux.

— Pas sûr que cela puisse te rassasier, mais tes compagnons de cellules vont être aux anges. Ne fais pas ton égoïste et partage un peu avec eux.

— Qu'est-ce que vous allez faire de moi ? demanda finalement Lyra.

— Pour l'instant te garder enfermé ici. Tu vas envoyer de fausses informations à Silverthrown. Informations bien entendues qui nous seront favorables pour l'ascension du lion. J'imagine que tu as compris de qui il s'agissait, tu n'es pas si stupide. Enfin, je crois.

— Et le Renard ? Il va se douter de quelque chose s'il ne me voit pas.

— Ne t'inquiète pas pour ça princesse, ton chevalier a déjà d'autres problèmes. Maintenant que tu n'es plus là pour lui sortir la tête de l'eau, on va voir s'il va survivre ou se noyer.

La métaphore lui parût familière. La vision de Kayden gisant dans la rivière et le sang s'écoulant dans l'eau émergea de son esprit.

— C'était vous ? souffla Lyra, plus pour elle-même. Elle fusilla le duc du regard. Non, c'était toi ! Tu étais là le soir du bal.

Lysandre, s'apprêtant à repartir, esquissa un sourire. Il avait l'air ravi qu'elle comprenne enfin l'impact qu'il avait sur la vie des deux royaumes.

— Réfléchis bien. Un chef de la garde mort signifie une sécurité affaiblie, voire inexistante et donc une reine plus facile à abattre.

— Tu étais prêt à tuer un homme bon pour faire revenir un tyran sur le trône ? Pourquoi ?

— Tu es bien naïve pour penser qu'il y a d'un côté les gentils et de l'autre les méchants. Mais la vie n'est pas aussi simple. Car les gens font des choix. Parfois bons, parfois mauvais, déclara Lysandre.

Lyra percevait dans les iris qui lui faisaient face un éclat de tristesse et de désillusion. Ses yeux avaient, semblaient-ils, été déçus et brisés bien trop de fois.

— J'ai déjà entendu cette phrase quelque part. À part suivre aveuglément les ordres de ta mère, es-tu capable de faire tes propres choix ?

— Je ne suis pas méchant, Lyra. Simplement un homme qui fait ce qu'il faut pour survivre. Je reviendrai dans deux jours pour t'apporter une meilleure nourriture que celle-ci, poursuivit-il dégoûté. Ainsi que du papier et une plume. Prépare-toi à être une vraie espionne. Dommage que ce soit dans l'autre camp.

Avant qu'il ne quitte le cachot, Lyra lui répondit :

— J'espère de tout mon cœur qu'un jour, tu n'auras plus besoin de survivre, mais que tu apprendras à vivre.

— Dis la femme qui s'est sacrifiée pour sa famille.

La Conteuse & le Renard doré - En réécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant