Chapitre 41

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Madeleine entra dans la chambre qu'occupait Lyra, un plateau garni de crêpes, de toast beurrés et de sucreries en tout genre. La domestique savait que la demoiselle allait mourir de faim après une telle aventure. Même si elle en ignorait encore les grandes lignes. Mais en constatant l'état dans lequel Lyra était revenue, il était certain qu'elle avait vécu l'enfer.

Sur le lit, Lyra était à genoux et lui tournait le dos. En face de la conteuse, le Renard doré, fraîchement démasqué, se faisait réprimander.

— Il en est hors de question ! Comment ça ma mission est terminée ? Rien n'est terminé tant que ce pourceau de Childéric n'est pas mort ou derrière les barreaux !

— C'est trop dangereux, s'énerva à son tour Kayden. Et puis j'ai promis au duc de Lomond de te ramener chez toi, en sécurité. Tu n'es plus utile ici. Va rassurer ta mère et tes sœurs, elles doivent être mortes d'inquiétude.

Il n'avait pas tort. De plus, Lyra avait terriblement envie de rentrer chez elle, dans sa campagne calme et lointaine. Mais entendre qu'elle n'était plus utile lui brisa le cœur. Elle agrippa les pans de la cape qu'elle ramena vers elle pour se sentir en sécurité. Elle se rassit calmement, le regard vague. Sa tête tournait, les migraines revenaient.

— Tu as déjà accompli un travail colossal, grâce à toi on est prévenu et on peut se protéger. Tu as fait ton travail. Mais maintenant laisse l'armée gérer la situation.

—J'ai donné ma vie à Ambrume et on me congédie dès que l'on a plus besoin de moi. Tu me congédies parce que tu n'as plus besoin de moi ?

— Quoi ? Mais absolument pas. Je veux simplement te savoir en sécurité.

— Kay, le royaume est en guerre, personne n'est en sécurité.

— Et alors, que veux-tu faire ? Te battre avec nous ? Tu sais manier une arme ? Te défendre face à l'assaut d'un soldat entraîné depuis des années ?

— On est en guerre ?

La petite voix timide de Madeleine interrompit l'échange entre la conteuse et le Renard doré. Ce dernier se releva immédiatement du lit, gêné d'avoir été surpris dans une telle position.

— Je vais vous laisser, on m'attend.

Il s'inclina devant Lyra puis salua poliment Madeleine avant de partir, raide comme un piquet. Décidément, son masque lui manquait dans certaines circonstances.

Lyra sourit à la jeune fille, ravie de revoir l'air angélique et les tresses de son amie. Elle tapota le matelas à côté d'elle, l'invitant à s'asseoir. Madeleine posa le plateau sur un guéridon, prenant par la même occasion un chou à la crème pour Lyra et un biscuit pour elle, puis s'installa. Lyra posa sa tête sur l'épaule de la domestique et souffla d'aise. Un peu de calme. C'est tout ce dont elle avait besoin.

— Vous avez encore de la fièvre, vous devriez vous recoucher, proposa Madeleine.

Les yeux clos, Lyra fit non de la tête. Son ventre gargouilla.

— J'ai trop faim pour me recoucher.

Les deux amies rirent de bon cœur. Madeleine présenta le plateau à Lyra qui y fit honneur. Bientôt, il ne resta plus que deux clémentines et un toast beurré. Lyra en profita également pour raconter son aventure à la jeune fille. Elle lui parla de l'extravagant personnage qu'est Jude de Lior, du pas si cruel Lysandre de Lomond, ainsi que de la présence inespérée d'Alphonse et de Damien. Elle n'omit pas la partie emprisonnement de son périple, qui était loin d'être un plaisir. La seule chose qu'elle ne mentionna pas était les révélations de Kayden.

Ça, seule Lyra le savait.

Madeleine l'écoutait ébahie, grignotant son biscuit.

— Et maintenant, demanda-t-elle après que Lyra eut terminé, qu'est-ce que vous comptez faire ? Rentrer chez vous ?

— Je ne sais pas. Je ne sais pas comment aider. Mais m'enfuir alors que le royaume s'apprête à combattre. Il n'en est pas question.

— La guerre..., pensa Madeleine à voix haute. Ça me terrifie.

Pour la consoler, Lyra la prit dans ses bras.

-§-

Il fallut deux jours alités pour que la fièvre de Lyra tombe enfin. Madeleine venait la voir tous les jours pour lui apporter ses repas, lui préparer la baignoire et l'aider à se coiffer. Aucune visite de Kayden. Le chef de la garde était bien occupé à préparer les défenses du palais. Peut-être même pensait-il qu'elle était déjà partie ?

Madeleine expliqua à Lyra qu'une rumeur avait paralysé tout le palais. Childéric et ses partisans approchaient. Ils avaient quitté l'île d'exil où était enfermé l'ancien roi, contourné les routes principales et avaient réussi à assiéger Polaris. Jude de Lior était replié.e dans ses appartements. Lyra était certaine que si l'attaque avait été si rapide c'est parce que Opale de Lomond avait ouvert en grand les portes du palais pour son frère et retourné tout le personnel du château contre Jude. À présent, l'armée d'Aldonya faisait partie intégrante de celle de Childéric. L'armée d'Aldonya n'était pas connue pour sa bravoure ou sa force de frappe mais ses soldats étaient tenaces, et nombreux.

Pendant sa convalescence, Lyra écrivit à sa famille. Elle dit à sa mère et ses sœurs qu'elle allait bien, qu'elle était de retour et en sécurité à Silverthrown, mais qu'elle ne comptait pas rentrer de suite. Et qu'elles lui manquaient énormément. Elle rajouta un post scriptum.

PS: Je suis allée voir papa. Il va bien et vous embrasse toutes.

Lyra avait redouté les retrouvailles avec son père. Comment faire face à un traître ? Elle s'était vendue au royaume pour lui sauver la vie. Elle avait vécu cette terrifiante mésaventure à cause de lui. Et à présent Childéric avait retrouvé sa puissance en partie à cause de lui. Pourtant, elle continuait de l'aimer d'un amour sincère.

Quand il la vit à travers les barreaux de sa prison, de grosses larmes coulèrent sur ses joues brunes et sa moustache grisonnante. Il s'agenouilla, incapable de regarder sa fille dans les yeux.

— Ma grande fille, mon bébé, pardonne-moi d'avoir été si lâche. Comment ai-je pu donner naissance à une fille si courageuse ?

Lyra essayait de rester forte face à l'image piteuse de son père à genoux devant elle. Mais elle ne tient. Elle demanda à la garde qui l'accompagnait d'ouvrir la porte pour qu'elle puisse entrer. La soldate s'exécuta rapidement, ayant eu l'ordre par son supérieur lui-même d'accepter chaque demande de la demoiselle (sauf celle de libérer le prisonnier, évidemment).

Lyra n'avait même pas posé un pied dans la cellule qu'elle recouvrit de ses bras le dos de son père. Il pleurait encore, incapable de se calmer.

— Je vais bien papa. Tout va bien. Et bientôt, tu sortiras de là.

Il l'enlaça, lui demandant encore pardon.

Après de si vives émotions, la garde qui avait assisté à la scène, attendrie, lui indiqua qu'il était temps d'y aller. Elle referma la grille, laissant le père et sa fille échanger un dernier au revoir.

Eugène Merryweather passa une main à travers les barreaux et caressa du pouce la joue de son enfant.

— Je suis si fier de toi, tu es devenue une femme si brave et si intelligente. Aucun père au monde ne peut être aussi heureux que moi à l'instant présent.

— Heureusement que je tiens de maman, taquina Lyra, les yeux embués de larmes.

Monsieur Merryweather éclata de rire. Un rire rauque et bruyant, venant du plus profond de la gorge. Un rire de papa.

— Et comment, termina-t-il amusé. Maintenant rentre vite à la maison dire à ta mère et tes sœurs que je les embrasse.

Lyra hocha de la tête puis suivit la garde vers la sortie, laissant son père derrière elle.

Elle allait dire à sa famille qu'il les embrassait, mais elle ne rentrerait pas tout de suite à Rivermoore.

La Conteuse & le Renard doré - En réécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant