Son assiette engloutie et sa chope vidée, Lyra était repue. Les tables se vidaient peu à peu, les clients du cochon grillé rejoignant désormais leurs lits en bâillant. À côté d'elle, Achim commençait à somnoler sur sa chaise. Bien qu'il ait les yeux ouverts, de petits ronflements d'aises s'échappaient de ses lèvres.
— Je crois qu'il est temps d'aller dormir, lança Alphonse à l'attention du groupe. Il nous reste encore de la route demain.
Damien maugréa, affirmant qu'il n'était pas fatigué et qu'il devait prendre sa revanche sur « cette vieille harpie ». C'était le mot qu'il avait employé. La bonne femme l'avait dupé plus d'une fois sur un jeu de hasard. Le hasard étant simplement dû au bon vouloir de celui qui connait le jeu.
D'après Alphonse, son compagnon d'armes avait déjà perdu assez d'argent sur ce jeu de gobelets retournés. Il empoigna son ami par le col de son uniforme et l'obligea à se diriger vers la porte d'entrée.
Damien avait beau se débattre, la grandeur d'Alphonse et les cinq bières qu'ils avaient sifflées ne l'aidait pas à se dégager. Il capitula finalement, ronchon.
— Très bien ! Mais je dors pas dans la paille !
— Tu dormiras là où il y a de la place, renchérit Alphonse.
— Rah ! Je suis sûr qu'Achim, il ronfle super fort en plus.
Fort probable, d'autant que le cocher avait déjà commencé à entonner un concerto de trompettes par narines dormantes.
— Attendez, où vous allez ? demanda Lyra en aidant Alphonse à soutenir Damien.
— Dormir dans la grange. On ne tiendra pas tous les cinq dans une seule chambre. Et puis on doit garder un œil sur... vos biens, conclut le moins ivre des deux en chuchotant.
— Je vous accompagne, déclara le Renard en se levant de sa chaise.
Il avait été encore plus silencieux que d'ordinaire depuis son altercation avec le marchand. Esquivant le moindre contact visuel avec Lyra, il avait à peine touché à son assiette ou à son verre.
Lyra n'aurait su dire si ce qui l'avait la plus intriguée était l'aplomb avec lequel le Renard l'avait protégé, ou bien la haine qui avait teinté sa voix lorsqu'il avait soulevé ce sale type. Pendant une seconde, elle avait vraiment eu l'impression qu'il aurait pu lui trancher la gorge d'un coup d'épée. Cette pensée lui rappela qu'avant d'être un homme gentil et timide, il était le chef de la garde. Un chevalier. Un soldat.
— Non, désolé, capitaine, refusa catégoriquement Alphonse. Mais vous, vous restez ici. Leurs Majestés nous ont ordonné de vous garder le plus reposé possible.
— Et dormir dans la grange, baragouina Damien avec un hoquet, pas reposant ! Du tout ! insista-t-il, bougeant son index en un mouvement de métronome.
De surprise, Lyra lâcha le bras de Damien qui s'effondra au pied de son ami. D'un sourire contrit, elle s'excusa. Ça signifiait donc qu'elle allait partager une chambre avec Kayden. Bien sûr. Aucun problème. Pas de quoi fouetter un chat. Ni un chien. Ou une baleine... La fatigue lui donnait mal à la tête. Du coin de l'œil, elle analysa la réaction de l'homme à côté d'elle.
Aucune.
Pas étonnant.
— Bon, la paille, je dors dedans. Mais alors, je dors avec toi ! cria Damien, son doigt tapotant la joue du grand garde.
Lyra était presque sûre qu'il essayait de toucher le nez d'Alphonse, mais l'alcool devait lui faire voir double ou triple au vu de la quantité absorbée. Elle eut tout juste le temps de constater l'état émotionnel d'Alphonse, qui avait rougi jusqu'à la racine de ses cheveux blonds, avant qu'ils ne disparaissent tous deux dans la nuit.
VOUS LISEZ
La Conteuse & le Renard doré - En réécriture
Roman d'amourSi Lyra Merryweather avait commencé à conter, c'était pour faire rêver les gens. Et aussi un peu pour l'argent... Parce que de l'argent, sa famille en avait besoin. Heureusement, sa réputation grandit jusqu'à atteindre les portes du château de Silv...