Un éclair venait déchirer le ciel. Un épais voile gris enveloppait à présent toute la capitale et les campagnes voisines. La pluie s'abattait en trombe, martelant les fenêtres du château. L'orage grondait. C'était suffocant. On n'entendait presque plus les hurlements des soldats qui se battaient.
Les quatre individus se faisant face essayaient de comprendre la situation, leurs respirations sifflantes.
Un second éclair. La lumière soudaine illumina la scène.
Kayden remarqua le sabre taché de sang. Ses yeux suivirent la courbe de l'arme, puis le bras qui la maintenait. La plaie suintait toujours.
Tordu par la douleur, le visage de Childéric était rouge et gonflé. De sa bouche ouverte pendait un filet de bave. Canines dehors. Ses partisans avaient raison. Il ressemblait à un lion. Un vieux lion fatigué.
— Que vous est-il arrivé ? se hâta de demander Crowley tout en se précipitant vers son roi.
Un mélange de soulagement, d'espoir et d'inquiétude se lisait sur le visage du Faucheur.
— C'est elle ! siffla Childéric entre ses dents.
Il pointa du bout du sabre Lyra. Aussitôt, Kayden se plaça devant la jeune femme, épée en garde.
— Tu vas bien ? lui chuchota-t-il.
— Je crois, je reprends tout juste mon souffle. Et toi ?
Il affirma de la tête sans jamais lâcher les deux hommes du regard.
— C'est vraiment toi qui lui as fait cette blessure ? demanda Kayden, perplexe.
— Pourquoi ? Ça t'étonne ?
Le bruit d'un vêtement que l'on arrache fit reporter leur attention sur leurs adversaires. Crowley, un pan de sa manche entre les mains, pansait adroitement le bras de Childéric. Ses gestes étaient doux, délicats, comme si son roi était ce qu'il avait de plus précieux. Malgré ses griffes d'acier, il ne l'effleura même pas. À croire que cela était une offense envers un être divin.
— Encore toi, petite jonquille, cracha Crowley une fois son travail terminé. Et moi qui pensais te faire une fleur en te laissant la vie sauve. Tu n'aurais pas dû.
Il arma ses griffes. Un sourire carnassier fendit ses joues.
Les éclairs se reflétaient sur les lames aiguisées.
Mais Childéric le retint par l'épaule. Il le surplombait de toute sa hauteur. Il lui parla à voix basse. Le fracas de la pluie ne permettait pas à Lyra et Kayden d'entendre ce qu'ils se disaient. Mais l'air de satisfaction de Childéric ne présageait rien de bon.
— Dépêche-toi de les tuer, conclut Childéric. Ensuite apporte-moi ce que tu sais, où tu sais.
Crowley salua militairement son roi puis se retourna vers Kayden et Lyra.
— Avec plaisir mon roi.
-§-
Le combat entre Kayden et Crowley était impressionnant.
Les deux hommes se battaient avec hargne et rage. Dans d'autres circonstances, Lyra aurait trouvé ce spectacle magnifique.
Souvent, Crowley attaquait le premier, essayant de rabattre Kayden dans ses retranchements. Mais ce dernier paraît chacun des coups de son adversaire. Encore et encore et encore. Le tintement cinglant des armes s'entrechoquant résonnait dans la tête de Lyra, au point que cela en devenait douloureux.
Crowley fatiguait plus vite que Kayden. Ses premiers mouvements avaient beau être d'une violence colossale, il ne dosait pas sa force. Alors ses coups devinrent de moins en moins brutaux et de moins en moins précis.
Kayden, en revanche, était endurant. Il savait parfaitement retenir sa puissance afin de l'utiliser au moment opportun. Alors que Crowley faiblissait, lui prenait l'avantage. Il était impressionnant. Son épée était un prolongement de son âme et de son corps. Elle exécutait à la perfection chacun de ses ordres silencieux.
Alors que Crowley se perdait dans l'enchaînement meurtrier, Kayden se baissa soudainement et dans une rotation parfaitement maîtrisée, il trancha le talon d'Achille de son adversaire.
Crowley bascula en arrière. Incapable de se relever, ou de ne serait-ce que poser le pied au sol.
Il était là, pitoyable, haletant, couvert de sang, le regard exorbité par la fureur et la terreur de savoir sa fin imminente. Son ennemi de toujours. Son tortionnaire. Le meurtrier de son petit frère.
Il se pencha au-dessus du corps et posa la pointe de son épée en plein milieu de la poitrine. Il appuya, juste assez pour le faire hurler. Il allait le tuer. Il rêvait de ce moment depuis des années.
— Tu vas payer pour toutes les vies que tu as prises. Pour mon frère. Pour mes amis. Pour tous les enfants de l'île.
Il allait le faire.
Il ne parvenait pas à enfoncer la lame. Ses mains ne répondaient plus. Il n'y arrivait pas.
Il se retourna vers Lyra.
Ce qu'il voyait dans son regard était indescriptible.
Elle-même ne comprenait pas ce qu'elle ressentait. Cet homme était un tyran, un esclavagiste, un meurtrier. Il méritait de mourir. Alors pourquoi une partie d'elle-même trouvait cette fin terrible et inhumaine. Elle aurait dû se couvrir les yeux, tourner le dos.
Ainsi Kayden ne se serait pas vu, dans le reflet des yeux de celle qu'il aime, comme un monstre. Il n'aurait pas vu l'horreur de Lyra.
Mais il lui était impossible de détourner le regard. Son corps ne bougeait pas.
Crowley en profita pour asséner un violent coup dans ses côtes. Il transperça le plastron et la chair, laissant derrière son geste une giclée de sang chaud.
Ce jour-là, le cri que poussa Kayden resta à jamais gravé dans la mémoire de Lyra.
Il tomba à terre, serrant les dents pour ne pas hurler. Crowley, de son côté, se releva tant bien que mal et clopina pour retrouver son roi.
Cette scène était étrangement familière à Lyra. L'obscurité, le sang, un homme roux aux teint pâle à demi-conscient, dans ses bras, le froid.
Des larmes coulaient le long des joues de Kayden. Les siennes. Il avait terriblement mal. Et celles de Lyra. Elle avait terriblement peur.
Elle appuya sa main contre la plaie, pour atténuer l'écoulement du sang. Il y en avait bien plus que ce fameux soir du bal, au lac.
— Pourquoi tu ne l'as pas tué ? renifla Lyra entre deux sanglots.
— Je ne veux pas que tu me voies de cette façon.
Un spasme de douleur tordit son corps. Il attrapa la main de Lyra et la serra de toutes ses forces.
— Idiot, c'est pas moi que tu devais regarder.
— Je sais, chuinta-t-il entre ses dents. Aide-moi à enrouler ma cape autour de mon ventre. On va essayer de faire un garrot. Il faut vite retrouver Crowley et Childéric.
Lyra s'exécuta. Précautionneusement, pour éviter de lui faire encore plus mal, elle décrocha sa cape et l'enroula fermement. Le tissu devint poisseux, au moins il évitait que le sang se déverse. Ensuite, elle aida Kayden à se remettre debout. Mais la douleur était trop forte. Il ne tiendrait jamais seul.
Elle lui tendit son épée pour qu'elle lui serve d'appui et, de l'autre côté, elle passa son bras sur son épaule. De cette façon, il était suffisamment soutenu pour marcher.
— Et qu'est-ce que tu comptes faire dans cet état ? demanda Lyra.
— Je ne sais pas encore, mais tu ne voulais tout de même pas m'abandonner ici, me laissant me vider de mon sang ?
— Jamais je ne t'abandonnerai. N'oublie pas, je suis ta chevaleresse servante.
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La Conteuse & le Renard doré - En réécriture
RomanceSi Lyra Merryweather avait commencé à conter, c'était pour faire rêver les gens. Et aussi un peu pour l'argent... Parce que de l'argent, sa famille en avait besoin. Heureusement, sa réputation grandit jusqu'à atteindre les portes du château de Silv...