Chapitre 71

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J'avais connu ma mère. Je ne m'en souvenais pas très bien, mais je l'avais connu. Et je savais également que son dossier faisait partit de ceux retrouvés sous les décombre du laboratoire au Brésil et qu'elle était décédée. Elle m'avait cherché toute sa vie et le docteur Martin s'en était pris à elle. Il avait détruit sa vie le jour où il m'avait enlevé et il avait fini par la tuer.

Je restais plusieurs minutes, assise dans le sous-sol, la lettre entre mes mains, les yeux perdus dans le vague, mon cerveau essayant d'enregistrer toutes les informations que j'avais apprises. Je n'entendis pas mon père descendre les escaliers jusqu'à ce qu'il s'asseye à côté de moi.

- Ça va ? me demanda-t-il.

- Hmm, confirmais-je en hochant la tête.

- Qu'est-ce que c'est ? questionna-t-il en désignant la lettre.

- Une lettre de ma mère biologique, répondis-je d'un ton détaché.

Je le vis qui fronça les sourcils mais il ne dit rien.

- Dans le carnet du docteur Martin, que j'ai récupéré dans la base en Russie, il parlait d'une femme qui lui avait couté son deuxième laboratoire et qui cherchait sa fille. J'ai demandé à Maria de faire des recherches et elle a découvert que cette femme était ma mère.

- Comment peut-elle être sûre que c'est ta mère ?

- Parce qu'elle ne m'a pas vraiment abandonné, elle a veillé sur moi jusqu'au jour où le docteur Martin m'a enlevé.

Je lui montrais le reste du dossier et lui fis lire la lettre.

- Est-ce qu'elle est toujours en vie ? me demanda-t-il une fois qu'il eut fini de la lire.

- Non.

- Je suis désolé, fit-il en me prenant dans ses bras.

- C'est bizarre mais je crois qu'au fond de moi je savais qu'elle était morte avant de lire la lettre, dis-je.

Il y eut un silence puis il le brisa pour me poser une question.

- Comment tu te sens ?

- Ça va. Oui ça va, répétais-je. Je pense que j'avais vraiment besoin de faire ça, de faire en sorte que tous ces survivants rentrent chez eux. Avant j'avais toujours l'ombre de ces laboratoires qui flottaient au-dessus de moi, de toutes ces vies qui se terminaient là-bas. Ça faisait comme un poids que je devais porter tous les jours parce que moi j'avais la chance d'être sortie. Oui je sais que je n'ai rien à me reprocher pour ça, mais inconsciemment..., dis-je en voyant son regard sur moi. J'ai apporté des réponses à beaucoup de familles, mais je m'en suis donner à moi aussi. J'ai l'impression que maintenant c'est derrière moi, tu sais comme quand on finit une période de sa vie et qu'une autre commence. Quand on termine l'école primaire et qu'on rentre au collège. Cette sensation que le monde a changé mais c'est seulement parce qu'on sort d'un enchainement d'événements avec le même point de départ et qu'on le regarde avec un œil différent.

Il hocha la tête.

- Et maintenant ? Qu'est-ce que tu as envie de faire ?

- Essayer d'avoir une vie normale.

- Tu raccroche le costume ?

- Oui. J'en avais besoin avant, quand j'étais un peu perdue, que je disais que je ne voulais plus affronter les méchants et me battre. Mais maintenant, après tout ça, j'ai réfléchi et je pense que j'ai trouvé un moyen d'utiliser mes pouvoirs sans avoir besoin de bataille.

- Est-ce que je peux savoir ce que c'est ? me demanda-t-il en souriant.

- Je vais faire de l'humanitaire.

- Tu as grandi beaucoup trop vite, soupira-t-il en me regardant avec les yeux brillants de fierté.

- Est-ce que tu penses que c'est une bonne idée ?

- C'est une excellente idée.

- Merci papa, souris-je.

- Je suis tellement fier de toi Sarah, me dit-il en me prenant une nouvelle fois dans ses bras.

Nous restâmes ainsi pendant quelques minutes avant qu'il me dise qu'il fallait que j'aille dormir parce que j'avais lycée le lendemain. Ce que je fis.

֍֍֍

Deux mois après le démantèlement de la dernière base, du dernier laboratoire, nous étions, Lucas, Julia et moi devant un mémorial. C'était un monument tout simple, représentant des enfants et des adultes, se tenant tous les mains, formant ainsi une ronde. Ensemble ils représentaient les victimes des sévices du docteur Martin et de ses disciples. Ils nous représentaient nous, les vivants comme les morts, pour qu'on oublie jamais, qu'on se souvienne de tous.

Beaucoup de ceux enlevés par le docteur étaient réunis. Il y avait leurs familles et celles des disparus, mais aussi des inconnus. La foule était silencieuse, en recueillement. Nous étions là pour tous ceux qui ne l'était plus. Nous étions là pour honorer la mémoire de Théo et Louis.

Au bout de longues minutes sans un bruit, on me fit un signe pour m'indiquer que je pouvais monter sur l'estrade. Je lâchais les mains de Julie et Lucas pour me mettre devant le pupitre, face à la foule. J'attendis quelques secondes avant de me lancer.

- Bonjour à tous, commençais-je doucement. Merci d'être là, d'avoir réussi à venir. Il y a maintenant seize ans, Zoé Marchal a été enlevée à l'âge de dix ans. Elle fut la première de la longue liste des victimes du Docteur Martin. Au cours des seize années suivantes, cet homme a expérimenté, torturé, tué au nom de la science. Nous avons tous fais les frais de sa folie, laissant des marques indélébiles sur nous et nos familles. Aujourd'hui, quelques mois après le début de l'enquête sur le docteur Martin, nous avons réussi à retrouver toutes les identités de ces hommes, ces femmes et ces enfants qui ont été retenus prisonniers par lui à travers le monde. Chaque nom est inscrit sur cette stèle, dis-je en pointant les inscriptions sous le monument. Il est de notre devoir de nous souvenir de ceux qui n'ont pas eu la chance de revenir. Il est de notre devoir de se rappeler des personnes qu'ils étaient. Le docteur Martin voulait qu'on soit oublié, ce ne sera pas le cas ! Pas tant que nous serons là, pas tant que ce monument existera. Je me souviens de Théo et Louis, mes frères de l'orphelina. Je me souviens de tous les visages amaigris que j'ai vus quand j'étais enfermée. Je me souviens du nom de chaque personne. Je ne veux pas oublier et je ne peux pas oublier parce que la vie m'a offert une chance que d'autre n'ont pas eu. Chaque jour je vis parce qu'eux ne le peuvent plus. Parce que des milliers de personnes ne le peuvent plus tous les jours, vaincus par un bourreau quelle qu'en soit sa nature. Ce monument nous représente tous.

Je marquais une pause avant de continuer.

- Il y aura toujours des gens malintentionnés dans le monde, mais je garde foi en l'humanité. Là-bas, au fin fond de ces laboratoires, à chaque fois, peu importait l'épuisement moral et physique, peu importait la douleur, je vous ai vu vous aider les uns les autres, soutenir les plus faibles, aider à distribuer la nourriture, l'eau et les couvertures. J'ai vu les ONG et les bénévoles venir nous aider. Nous étions des centaines et je suis sûre que nous sommes encore plus nombreux que ça. Et nous serons toujours là pour faire face aux gens comme le docteur Martin. Parce que nous existons et parce qu'ils ont existé, terminais-je en pointant le monument encore une fois.

Il n'y eu pas d'applaudissements, juste de l'émotion.

La foule resta encore de longues minutes après la cérémonie mais elle finit par se disperser. Julie et Lucas me laissèrent seule devant le monument. Je m'éloignais de quelques pas pour avoir la totalité des noms inscrits dans mon champ de vision. Je me les récitais mentalement avant de m'approcher et de poser ma main sur un nom. Celui de ma mère. Je restais ainsi un long moment avant de déposer une rose au pied de la stèle.

The little girl's powersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant