11 Mars. Monaco.
Un cri strident m'arrache les cordes vocales. Respire. Izzya respire. C'est insupportable. Des gouttes de sueur perlent sur mon front et j'ai soudain l'impression que je ne vais pas m'en sortir. Izzya respire. C'est juste un cauchemar. Juste... Un putain de cauchemar... Je ne sais plus si je suis encore endormie ou dans le monde réel, tous mes sens sont embrouillés et je ne cesse de me débattre dans mes draps. J'étouffe. J'entends un bruit. Je suppose que c'est la porte de ma chambre qui est en train de s'ouvrir. J'ouvre enfin les yeux et mon regard s'ancre directement dans les yeux de Charles. Des larmes coulent sur mes joues comme si tout l'océan se déversait. Je me déteste intérieurement de paraître aussi faible devant lui. Charles s'approche doucement de moi, me disant que tout va bien.
- Ne m'approche pas ! Ne me touche pas ! dis-je effrayée.
Il s'immobilise et je vois dans ses yeux son inquiétude grandir. Je sais qu'il ne me veut aucun mal, mais je suis encore sous le choc de ce cauchemar, ou plutôt de me souvenir bien réels et que j'aurais préféré oublier. Je prends ma tête dans le creux de mes mains et j'essaye de reprendre mes esprits.
- Tu... Tu as peur de moi ? hasarde Charles, qui ne sait plus comment réagir.
- Je n'ai pas peur de toi, Charles...
Le monde est en pause, ma respiration se coupe. Il a compris. Je le vois dans son regard. Je le sais. Je n'ai pas peur de lui. J'ai peur des hommes. Plus précisément de mon père. Charles n'a toujours pas bougé. Il attend juste sans savoir comment réagir par peur de me brusquer ou de mal faire. Il ne dit rien et je ne trouve pas cela inconfortable ou malaisant, au contraire, j'ai l'impression que ce silence vaut beaucoup plus que des mots.
Je me lève doucement, sors de mon lit, et m'avance faiblement vers lui. Arrivé à sa hauteur, je m'écroule, il me retient in extremis et resserre son étreinte alors que je suis en train de craquer dans ses bras. Il passe son bras en dessous de mes genoux et l'autre vers mes épaules et me porte, sans difficulté, jusqu'à mon lit pour me rallonger. Il replace le drap sur mon corps et je le remercie doucement. Il me fait un bisou sur le front et me dit de ne plus avoir peur et que s'il y a le moindre souci, je peux l'appeler. Je le regarde sortir de ma chambre alors qu'intérieurement je meurs d'envie de le rattraper et de lui demander de rester...
Après quelques minutes, je me résous à me lever étant dans l'incapacité de me rendormir. J'allume la lumière et je regarde l'écran de mon téléphone : 3h du matin. Je soupire et fais rapidement le tour de ma chambre réfléchissant à ce que je vais bien pouvoir faire pour m'occuper sans réveiller Charles. Il a déjà fait beaucoup pour moi. Je relève mes cheveux en chignon et m'installe à mon bureau. J'ouvre mon ordinateur et me mets une série sur Netflix, en me recouchant. Quand mon épisode se termine j'entreprends d'en regarder un autre quand j'entends toquer à ma porte.
- J'ai vu que ta lumière était allumée et vu que je n'arrive pas à dormir, je me dis que je peux te tenir compagnie ? Si tu veux évidemment.
- Oui, bien sûr, tu peux venir, dis-je en fermant mon ordinateur.
Il vient s'asseoir à côté de moi et je le suis du regard, sans aucune discrétion de ma part.
- Tu aimes ce que tu vois, dit-il pour détendre l'atmosphère... Tu veux en parler ?
-De quoi ?
- Ton cauchemar ? Ma sœur m'a toujours dit que quand on fait un cauchemar, il faut toujours en parler comme ça il disparaît et ne reviendra pas.
Je souris tristement à l'évocation de sa sœur. Je réfléchis un instant et pèse le pour et le contre. Dois-je tout lui dire ? Finalement, si on se rapproche un peu plus, il le saura un jour ou l'autre et vu comment je me suis effondrée dans mes bras, il a dû vraiment s'inquiéter. Je prends une grande respiration avant de commencer.
- En réalité, ce n'était pas vraiment un cauchemar, mais un souvenir. Je n'ai pas vraiment vécu une enfance de rêve. Mon père était du genre violent, il ne parlait pas beaucoup et quand sa colère explosait, il nous frappait, frappait dans les murs, cassait des verres ou éteignait sa cigarette sur notre peau, enfin bref, je vais t'épargner tous les détails. Ma mère n'était pas vraiment du genre à pleurer, elle a pris les coups mais elle ne s'est jamais effondrée devant lui. Un jour, mon père m'a pris par la gorge et m'a emmené vers notre balcon, je te laisse deviner la suite car je n'ai pas la force de le raconter. C'est donc se souvenir qui est réapparue dans mon cauchemar.
Charles ne dit rien. Alors je décide de poursuivre mon récit.
- En général, une femme battue est souvent dans le déni des actes commis et ma mère ne faisait pas exception. Après cet événement ma mère a enfin ouvert les yeux, elle a réuni nos affaires et on est parti. Elle a fini par porter plainte, mon père a écopé de 10 ans de prison, mais il n'en a fait que 5 car il a eu une remise de peine pour bonne conduite. En résumé mon père vient de sortir de prison il y a peu, et même s'il a une injonction d'éloignement, je ne me sens pas en sécurité car je ne sais pas où il se trouve et à chaque fois que je me promène dans Monaco, inconsciemment, j'ai toujours peur de tomber sur lui.
À la fin de mon monologue, je n'ose même pas relever la tête et encore moins le regarder. Il prend entre ses doigts mon menton et relève ma tête.
- Ne fuis pas mon regard Izzya, murmure-t-il.
Je plante alors mes yeux dans les siens et instantanément un sourire se plaque sur mes lèvres.
- Vitchi, tu es la personne la plus forte que je connaisse. Tu as vécu tellement de choses et pourtant tu es toujours là. Tu sais, si ma sœur était toujours en vie, elle t'aurait adorée, j'en suis persuadé.
- Comment elle s'appelait ?
- Elle s'appelle Laura... Ma sœur s'appelait Laura...
Mon sourire ne fait que s'agrandir au fur et à mesure qu'il parle pour me remonter le moral.
- On se fait un UNO ?
Je m'arrête d'un coup alors que mon cerveau est en train de bugger.
- Izzya, dans le vrai sens du terme, dit-il étouffant un rire. Je ne pensais pas que ton esprit divaguerait vers ces eaux-là...
On se regarde un moment droit dans les yeux avant d'éclater de rire. Je me lève de mon lit pour aller chercher le jeu.
- Je suis imbattable au UNO, dis-je avec défi.
- Ça tombe bien, moi aussi, réplique-t-il sur le même ton.
On commence à jouer dans la bonne humeur. Après quelques parties, le score est à égalité. 3-3.
- Dernière partie qui déterminera qui de nous deux est le meilleur. Prépare ta défaite Vitchi, dit-il sûr de lui.
- Si je gagne, tu me payes un resto et tu seras obligé de chanter au karaoké lors de l'anniversaire de Camilla, proposais-je.
- D'accord, mais si je gagne... Toi et moi, on se refait un week-end à Paris.
- Proposition intéressante, je serais même presque tentée de te laisser gagner, mais je meurs d'envie de te voir chanter.
- Marché conclu alors ?
- Marché conclu, dis-je en lui serrant la main.
Je distribue les cartes. Je pose de plus en plus de cartes malgré les +2 et les +4 qu'il me mettait.
- UNO, dis-je en même temps que lui.
Tout se joue maintenant. Ma dernière carte est de la couleur bleue, celle posée sur le tas est rouge, dans tous les cas, j'ai perdu, sauf si Charles a une carte de couleur différente. Charles me regarde un grand sourire aux lèvres et pose sa carte... rouge. Il a gagné.
- Je suis le meilleur, tu peux le dire !
- On part quand ? dis-je tout sourire.
- Quand tu veux ! Mais pas aujourd'hui.
- Je te préviens quand même Champion, tu n'échapperas pas à la chanson lors du karaoké.
- Ça c'est ce qu'on verra...
Tout content, Charles range le jeu et je lui propose de regarder un film. Il s'installe à côté de moi. Je lance le film, mais après seulement quelques minutes mes yeux se ferment. La dernière image que j'ai, c'est le visage de Charles déjà endormi...
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Une dernière danse
Teen FictionIzzya Vitchi, atteinte de diabète, décide d'arrêter ses études de journalisme pendant un an pour vivre sa vie à fond et fuir son quotidien maussade qui se résumait à ses études et au rendez-vous chez le médecin. Lors d'un voyage à Paris, elle croi...