Chapitre 9

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Dastan


L'air est humide. Sirupeux et difficile à avaler comme un miel trop épais. Il pèse sur mes épaules comme une lourde et suffocante couverture.

Je me réveille au premier cliquetis de la clé dans la serrure. La porte de la cellule s'ouvre dans mon dos et les pas résonnent autant dans la pièce vide que dans ma tête. Je me lève de ma paillasse imbibée de moisissure et des larmes qui n'ont pas encore séché.

C'est l'heure.

La peur me retourne les tripes, mais je m'y refuse. La colère s'empare de moi, et je l'accueille.

Un autre bruit métallique retentit quand le fer se referme sur mes poignets.

Une parole d'encouragement entre dans mon oreille et ressort de suite par l'autre.

Mes jambes se déplacent seules, comme si, nonobstant les protestations poussées par le reste de mon corps, elles n'avaient d'autres choix que d'avancer.

Les grilles se succèdent de part et d'autre du couloir qui empeste les effluves en tous genres. Des corps sont recroquevillés sur leur lit de fortune, d'autres se retirent dans l'obscurité de leur loge. Les plus téméraires se tiennent droit face aux barreaux et foudroient les hommes qui me cernent d'un regard empli de haine et de rage.

Ces regards sont ma drogue. Celle qui me galvanise. Celle qui m'empêche de sombrer.

Bientôt, le silence pesant laisse place à un brouhaha de huées et de sifflements. L'atmosphère change. Le mélange nauséabond d'odeur des cigares, des haleines alcoolisées et de la sueur traverse la galerie comme un vent corrompu et malsain.

Mais pas autant que celle, douceâtre et entêtante, du sang.

Le sol qui s'impose sous mes yeux n'est plus qu'un tapis de poussière maculé d'une flaque écarlate.

J'entends le son étouffé du corps inanimé, vaincu, traîné dans les coulisses de ce spectacle funeste.

Mes poignets sont libérés. Le tollé général se mue rapidement en cris d'euphorie et d'impatience.

Je relève le menton.

Un visage jeune – trop jeune – se dessine dans la lumière vacillante et la chaleur des torches. Le sourire contrit se renforce. Les yeux se ferment. Un filet de sang dégouline. La goutte s'écrase au sol.

— Vis pour nous deux, Das.

Je baisse les yeux sur mes mains, baignées de ce sang innocent.

Théo !

Je me redresse avec un hurlement aspiré. Mon cœur bat si fort dans ma cage thoracique qu'il me fait mal. Mes draps sont trempés par la sueur.

J'examine à nouveau mes mains.

Rien.

Il n'y a rien. Elles sont... immaculées, intactes.

Non, pas intactes. Pas immaculées, non plus...

Je les oriente paumes vers le bas. Le temps a fait son œuvre, mais je peux toujours voir les minuscules sillons clairs zébrer le doré de mes jointures et s'étendre sur mes phalanges. Je peux sentir les couches visqueuses et collantes du sang qui ne sera jamais lavé.

Je passe une main dans mes cheveux collés à mon front transpirant avant de me rallonger, l'estomac noué.

Il y a longtemps que le passé n'est pas revenu me hanter, et il est clair que je ne m'attendais pas à devoir m'y abîmer de nouveau.

Asteria : L'Héritage des AstresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant