Chapitre 33

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Anaé


Un homme au visage teinté par les ombres se tient au-dessus de moi, ses deux mains maintenant mon cou. Ses doigts me compriment la peau. Ils m'empêchent de respirer.

J'ouvre la bouche, inspire par le nez, mais rien ne se passe. Aucun air ne parvient à mes poumons.

Une sensation désagréablement familière me surprend. Mes yeux me piquent et goût salé se déploie dans ma bouche.

J'entends mon sang battre contre mes tempes. Mon cœur palpite de plus en plus vite.

Je me débats dans tous les sens et griffe mon agresseur en essayant d'atteindre son visage. Mais mes bras sont beaucoup trop courts et les siens incroyablement longs. Mes ongles s'enfoncent dans son vêtement, lacèrent la peau de ses mains qui compressent davantage ma gorge déjà en feu.

Ma vision se trouble, se teintant de blanc, de rouge et de noir. Des étoiles émergent autour de moi. Son corps lourd appuie sur le mien, entrave mes hanches et mes jambes.

J'ai mal.

Je suffoque.

Merde. Je vais mourir.

Je vais vraiment mourir.

Mes membres s'engourdissent, mes mains deviennent moites. Cette impression de m'enfoncer dans les mêmes eaux ténébreuses de mon enfance me dévaste à nouveau, les yeux et les poumons brûlants d'un mélange de braises et de sel - le froid mordant mes os en moins.

Des larmes se forment dans mes yeux et me voilent la vue. Des bribes de souvenirs me viennent. Un tapis de neige blanche, une couverture de sable noir, une cascade de feuilles vertes, une étendue bleue pointée de rose. Plusieurs visages me parviennent. Mes parents. Mes amis. Mais le dernier que je distingue est celui de Dastan.

Ses boucles épaisses et flamboyantes retombent sur son front. Ses yeux d'émeraude me fixent intensément, brillants de leur éclat habituel. Son sourire est chaleureux. Joyeux. Amoureux.

Son image s'attarde, quand je sens une force inconnue se réveiller en moi et prendre possession de mes membres ankylosés.

Non.

Je ne peux pas... Je ne peux pas mourir maintenant. Pas avant de m'être mariée à Dastan. Pas avant d'avoir été couronnée. Pas avant d'avoir vécu la vie que j'aspire à vivre.

Je secoue les hanches, dégage mes jambes et réussis à les soulever. Elles se cognent un peu partout contre l'homme qui me maintient toujours fermement. Il ne lâche pas. Ça ne marche pas. Les secondes s'égrènent. Mes forces diminuent...

NON.

Encore... un... petit... effort...

Mon ultime coup, enflammé par mon instinct, atteint la partie sensible de son entrejambe. L'homme éructe un juron en desserrant sa prise contre mon cou. L'oxygène entre dans mes poumons et je soupire de douleur, prise d'une toux infernale. L'air qui les imprègne est aussi brûlant qu'un feu de cheminée, oppressant comme sa fumée. Mon agresseur se recroqueville, les mains posées sur ses bijoux de famille, et je sais que je n'ai que quelques secondes pour agir. Je m'arc-boute contre son torse et le propulse d'un coup de pied à l'autre bout du lit. Il dégringole en arrière, heurte le coffre devant le lit en poussant un râle pénétrant.

Je me jette sur le tiroir de ma table de chevet sans même réfléchir. J'en extrais ma dague et la dégaine au moment même où je tombe au sol dans un bruit sourd.

Mon cou me fait souffrir. Ma gorge me brûle. Mon corps entier lance de douleur. Mais je me relève, empoigne le manche court de mon arme et la dirige vers mon agresseur. Mon instinct de survie prend désormais le dessus sur ma peur et ma douleur, et ma vision est claire.

Son regard se porte sur la menace pointée vers lui. Il lève les mains en l'air, puis s'approche de moi à pas de loup.

- Tout doux, ça va aller, chuchote-t-il.

J'agite ma dague devant lui comme si je voulais chasser un moustique. Il tente un saut pour me désarmer. Je fais un rapide pas de côté tout en lui griffant la joue de ma lame aiguisée.

- Aïe ! Saloperie !

Une trace rouge apparaît sur son visage, dégoulinante de sang sur le sol. Il recule, surpris et furieux d'avoir compris que je suis capable de planter mon poignard ailleurs que sur son visage. Un mauvais souvenir me vient, une situation quelque peu similaire à celle-ci.

J'envisage la fuite, mais de nous deux, c'est de lui que la porte est plus proche. Si j'entreprends de m'échapper, il n'a qu'à faire quelques enjambées pour m'intercepter. Et avec mon corps lancinant, je ne doute pas un seul instant qu'il y parvienne.

Soudain, une idée me percute.

Quelqu'un monte la garde non loin de ma porte. Et s'il n'a pas entendu l'homme dévaler mon lit, il m'entendra peut-être crier.

Je crie une première fois, mais ma voix déraille comme un train lancé à toute vitesse. Alors je force, ma gorge tirant et piquant comme si j'avais avalé un milliard d'aiguilles.

- AU SECOURS ! m'époumoné-je.

Ce cri m'arrache les cordes vocales, à peine aussi audible que le premier. L'air qui entre dans mes poumons me brûle comme si on les marquait au fer rouge.

- À L'AIDE ! hurlé-je une troisième fois, en vain.

Ces deux mots me font l'effet d'un poignard en pleine gorge, mais je reste concentrée. L'homme face à moi ne se défait pas de son masque de rage et ses yeux suivent chacun de mes mouvements chancelants. Mes mains tremblent tellement que j'ai l'impression qu'un séisme s'abat sur le château.

Il avance une nouvelle fois et je tranche dans le vif. Les extrémités de trois de ses doigts tombent sans un bruit sur le sol, faisant gicler le sang sur son visage et le mien. Le liquide chaud et épais teinte ma vision de rouge, coule sur mes joues et se glisse dans ma bouche.

Il pousse un hurlement qui me déchire les tympans. Je fais deux pas en arrière, désorientée par son cri.

Un fracas m'arrache un sursaut, suivi d'une voix qui m'est familière. Une vague bleue fait irruption dans mon champ de vision. Toma entre dans la pièce en répétant mon prénom, mais je me sens dans l'incapacité de détourner les yeux de mon agresseur, compressant comme il peut sa main pour éviter qu'elle ne saigne davantage.

Toma visualise l'horreur de la scène et constate ce qui se passe en tirant son épée au clair. Il pointe à son tour son arme en direction de l'homme dont les traits se sont affaissé dans la pénombre, son visage seulement éclairé d'un côté par le feu de la cheminée.

Plusieurs bruits de pas bourdonnent à mes oreilles et d'autres gardes du palais arrivent en trombe dans la pièce. L'homme est acculé et n'a pas d'autres choix que de fléchir les genoux en gardant les paumes ensanglantées bien hautes, le sang jaillissant de ses trois doigts coupés.

Le monde se met brutalement à tourner autour de moi.

Ma vue se brouille.

Mes mains s'ouvrent, mes doigts s'écartent de la poignée et ma dague tombe par terre dans un cliquetis d'acier.

Mes jambes ploient sous mon poids et je m'écroule sur la pierre grise - devenue noire dans l'obscurité de la pièce.

Mes yeux se ferment et je me perds dans un épais brouillard.

Asteria : L'Héritage des AstresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant