Asteria : L'Héritage des Astres

Chapitre 37

Anaé

Les journées passent, toutes identiques. Mes nuits, toujours ponctuées des mêmes cauchemars. Toutefois, mon appétit revient peu à peu. Mes vomissements ont diminué, ma voix n'est presque plus enrouée et mes contusions à la gorge ne sont plus que de lointains souvenirs. L'orage qui gronde parfois encore ne me provoque plus les mêmes insupportables sursauts qu'avant.

Je n'avais jamais été aussi tourmentée par le tonnerre, qui, d'ordinaire, suscite chez moi plus d'apaisement que de peur. À Damani, le temps se montre si souvent capricieux, que lorsqu'une tempête fait rage, dangereuse et magistrale à la fois, elle balaie le pays d'éclairs foudroyants, de vent furieux et de déluges glacés, avant de laisser derrière elle la pureté d'un ciel sans le moindre nuage. Aussi lunatique et imprévisible que l'aurait été sa déesse créatrice.

Trois semaines se sont écoulées depuis mon agression. Ou peut-être quatre. Ma notion du temps qui passe est déformée depuis que le ciel est d'une sinistre monotonie.

Iréna et Hélicie m'ont tenu compagnie toute la matinée. Toutes deux assises sur le lit, elles papotent du prochain évènement qui aura lieu à Asteria, dont Yvelta avait brièvement fait mention : la cérémonie de l'Éclipse.

Dans quelques jours, le soleil et la lune vont s'unir pendant quelques minutes le temps d'une éclipse : une rare étreinte entre les dieux. Selon Iréna, ces phénomènes représentent des moments privilégiés où les Astériens peuvent formuler un vœu à Séléné et Hélios. S'ils trouvent grâce à leurs yeux, ils le réalisent. Une croyance comme une autre dans un pays guidé par le culte de divinités.

Et pour une fois, j'ai envie d'y croire.

Chaque habitant, qu'importent son rang et son origine, inscrit son souhait sur une feuille de papier. Tous ces petits mots sont alors disposés dans un grand bûcher allumé par une flèche enflammée tirée depuis une haute estrade. Les cendres s'envolent vers le ciel le temps de l'éclipse et avec elles, les vœux.

Je trouve ça très poétique.

Chaque éclipse, qu'elle soit lunaire ou solaire, partielle ou annulaire, est vénérée par les Astériens. Mais les cérémonies de cette ampleur n'ont lieu que lors des éclipses totales et nombreux seront les habitants du pays qui feront le déplacement jusqu'à la Capitale des Astres pour y assister et y participer – bien qu'il soit tout à fait possible de procéder au rituel chez soi.

Les éclipses totales sont exceptionnelles et surviennent – avec un peu de chance – une fois par siècle. Ce qui fait de la prochaine un évènement vraiment unique entre les dieux et ceux qui leur vouent un culte. Le palais aurait même été décoré pour l'occasion.

— Pouvons-nous aller au village ? demandé-je subitement aux filles, ce qui interrompt leur conversation.

Me livrer à Dastan a été libérateur, mais je ne pouvais encore me résoudre à affronter le monde extérieur. Aujourd'hui, pourtant, mon désir est tout autre, et j'en suis la première surprise.

Iréna et Hélicie me dévisagent toutes les deux comme si une corne venait de me pousser sur la tête, puis Iréna se lève en explosant de joie.

— Veux-tu vraiment sortir de ton lit et aller te promener ?

Je hoche timidement la tête, les joues empourprées devant son exultation. Pour une fois depuis un moment, j'ai envie de me balader. Je veux voir les décorations de mes propres yeux et me rappeler de l'effervescence d'une prochaine fête.

Iréna saute du lit et se dirige vers les armoires.

Je ne m'étais jamais attardée sur l'aspect de la chambre de Dastan jusqu'à maintenant, l'esprit embrouillé par mes pensées aussi lugubres que le ciel. Les meubles sont d'un luxe encore plus indécent que ceux de mon ancienne chambre. Les déclinaisons de vert, de beige et de doré donnent à la décoration un certain raffinement. La pièce baigne dans la lumière de trois grandes fenêtres, malgré le mauvais temps. J'avise le salon, et l'immense cheminée sur laquelle j'ai laissé errer mon regard pendant des semaines.