Chapitre 32

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Anaé


La salle de banquet est inondée de monde. Les tables disposées en cercle – une lubie ici visiblement – débordent de nourriture et de boissons en tous genres. Les courtisans discutent, boivent, rient pendant qu'une troupe de cirque donne une représentation au centre de la salle. Tous les regards qui me sont adressés sont empreints de pitié, quand on ne lorgne pas les bandages autour de mes deux mains.

Je suffoque tant sous ces couches d'apitoiement, que j'en viens même à me demander si je ne préférais pas quand les gens me méprisaient dans mon dos.

Hélicie se tient à côté de moi, aussi muette qu'une tombe. Toutes les deux assises sur un banc recouvert d'un long coussin en velours confortable, nous observons les festivités se faire sans nous. Le roi Aegon et la reine Jazéphine bavardent, assis à la table des souverains d'Amerald. Quant à Iréna et Yzéra, elles sont clairement dans leur élément, à dialoguer avec quiconque se présente à elles, leurs verres de vin en cristal à la main. J'ai beau avoir déjà participé à une fête comme celle-ci, j'ai toujours l'impression de faire tache dans le paysage – d'autant plus après ce qui s'est passé hier.

Je trouve le temps long, et dans un élan d'ennui ferme, je décide de m'extraire de ma place pour rejoindre l'assistance. Hélicie attrape la manche longue de ma robe et plante son regard perdu dans le mien.

— Où vas-tu ?

— Je vais me dégourdir un peu les jambes. Viens avec moi.

Elle secoue vivement la tête. Je comprends qu'elle ne veuille pas se mêler aux autres, que la présence d'une foule d'inconnus est anxiogène pour elle. Mais rester plantées ici n'arrangera rien.

Quand elle finit par me lâcher, j'attrape mon verre de vin que je n'ai, à ma grande surprise, pas encore vidé et me faufile à travers les gens en direction des Méribor.

Un frisson me parcourt soudain l'échine, accompagné de la désagréable sensation qu'on m'observe impunément. Je me retourne et me retrouve face à trois jeunes filles très bien vêtues et parées de bijoux flamboyants. Armées de leur verre de vin, elles me dévisagent sans scrupules.

— Bonsoir, osé-je dire.

— Alors, c'est donc toi qui as volé le prince Dastan à la princesse Eudora, annonce l'une d'entre elles.

Je suis lassée d'entendre toujours les mêmes discours. Je me retiens de lever les yeux au ciel en enfilant mon masque de sang-froid.

— Je ne comprends toujours pas l'intérêt pour Son Altesse de t'avoir invitée à Amerald. Ta seule présence souille notre palais.

Ses deux comparses me regardent de haut en bas sans pour autant ouvrir la bouche pour m'insulter à leur tour.

— Je vous demande pardon ? déclaré-je avec une naïveté calculée.

— Je te pensais assez intelligente pour ne pas te présenter à cette cour. Mais j'ai manifestement eu tort.

Sa prétention et sa familiarité me hérissent. Je rassemble tous mes esprits et m'apprête à lui répondre quand elle me coupe la parole :

— Les garces comme toi, personne n'en veut. Retourne traire les vaches dans ta campagne profonde.

C'est tout juste si elle ne m'a pas crachée au visage en même temps. Je suis prise au dépourvu, forcée de réfléchir à un moyen de riposter sans provoquer un esclandre. Je resserre ma prise sur mon verre à tel point que je m'attends à ce qu'il se brise. Je serre le poing, et une pointe de douleur irradie de ma main, rappelant à mon bon souvenir les plaies encore fraîches incrustées dans mes paumes que je m'étais efforcée d'oublier.

Asteria : L'Héritage des AstresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant