Chapitre 18

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Anaé


Je ne sens plus mes pieds, oppressés dans leurs chaussons couleur crème. Ce n'est que la première leçon et Iréna me prend déjà pour une danseuse professionnelle. Mes mouvements sont loin d'être aussi élégants que les siens et chaque pas m'essouffle plus que de raison.

La première danse ne pouvait-elle pas être une simple valse ? Non, il fallait qu'elle soit remplie de virevoltes, d'écarts et d'ondulations plus complexes les uns que les autres.

Petite victoire tout de même, après plusieurs tentatives infructueuses, j'ai fini par saisir l'ordre des pas, et ce, malgré l'absence troublante de notes de musiques, remplacées toutefois par un compte des pas pour le moins efficace.

— C'est un peu mieux déjà, me complimente Iréna au bout du douzième essai. À ton tour, Hélicie.

Mes deux amies se remettent en place et la facilité avec laquelle Hélicie assimile la chorégraphie me rend jalouse. Elle suit tous les pas chaloupés d'Iréna avec une telle grâce. Ses belles boucles brunes volettent dans les airs et son odeur de fleur d'oranger et de vanille me submerge.

— Regarde, Anaé, m'interpelle Iréna une fois la danse terminée. C'est comme cela qu'il faut faire.

Je réprime mon geste obscène. Iréna ne m'en tiendrait pas rigueur, au contraire, elle tirerait un immense plaisir à me voir me montrer grossière, comme elle me l'a si gentiment confessé. Mais Calathi serait capable de le sentir grâce à son sixième sens et je n'ai aucune envie de me faire tirer les oreilles, physiquement ou métaphoriquement.

— Prête pour un nouvel essai ?

— Puis-je refuser ?

Elle me regarde en biais avant de tendre la main dans ma direction. Je l'attrape en ronchonnant, mais sens ce contact déjà plus souple. Iréna plonge son regard dans le mien et m'adresse un signe de tête pour lancer le compte des pas. Les miens sont plus fluides, plus assurés et lorsque je lâche ses mains pour m'écarter d'elle, mes bras me semblent être faits de coton, s'envolant dans les airs comme une nuée d'oiseaux. J'effectue chaque mouvement avec plus d'aisance, plus d'élégance. Iréna met fin à la danse. Mes lèvres s'étirent en un sourire de satisfaction et Hélicie me félicite par ses applaudissements.

— Vois-tu ? Ce n'est pas si difficile, avoue ma partenaire. Quelques cours supplémentaires et tu seras fin prête.

— Je dois bien avouer que c'est mieux que tout à l'heure. Merci, Iréna. Tu n'es pas si mauvaise professeure que je le croyais.

Elle balaie mon remerciement d'un geste de la main et fait fi de ma taquinerie.

— Je dois te prévenir, lance-t-elle en me pinçant le bras. Danser avec moi est une chose, mais danser avec le prince aura une tout autre portée.

Je hausse un sourcil.

— La première danse est un rite de passage pour beaucoup de couples, enchaîne-t-elle avant que je n'aie le temps de lui poser la question, mais davantage encore pour le futur couple royal. Il ne s'agit pas de la toute première danse de la soirée, seulement de la première que le prince et sa fiancée danseront sous les yeux scrutateurs des invités. Garde à l'esprit que tu dois être irréprochable.

J'avale la boule qui me remonte dans la gorge. Ce bal me donne l'impression de jouer ma vie comme à un jeu de hasard mortellement dangereux. Calathi a suffisamment insisté sur ce point elle aussi. Chaque pas en avant que je fais est fatalement suivi de deux pas en arrière.

— Ai-je ajouté un poids sur tes épaules ? demande Iréna.

— Si peu, ironisé-je en échouant à masquer mon inquiétude. Tout le monde s'accorde à dire qu'il suffit d'un seul faux pas pour ruiner mon avenir.

Asteria : L'Héritage des AstresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant