Le défi d'une servante

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Territoire de Numance , Hispanie ( actuelle Soria /Espagne) 134 av JC.

À l'orée de l'aube naissant, Tihya se dresse devant un mince ruisseau, un glaive dans la main. Son regard se fixe sur les eaux ruisselantes, un cours qui s'écoule, tandis qu'elle médite comme si quelque vigueur ancestrale reprenait souffle. L'horizon qui s'étend devant elle, comme un tableau de son destin, vaste et infini, demeure dépourvu d'explications, mais truffé de contraintes. Là, elle élève son glaive et scinde les mèches de sa chevelure, une chevelure qu'elle avait tant chérie. Les boucles soyeuses qui auparavant ondoyaient jusqu'à la moitié de son dos sont à présent raccourcies, leur longueur coupée jusqu'au niveau de sa nuque. Des larmes perles aux confins de ses paupières.

Alors elle médite, songeant à cette facette étrange de l'injustice irrationnelle du destin, reconnaissant que cette part de sa vie doit être enterrée. Les cheveux qui jadis avaient été son ornement sont désormais ensevelis, comme pour symboliser le labeur de ce rituel intérieur. Sa paume caresse la terre alors qu'elle les y dépose avec une tendre tristesse.

—  Ô dieux tout-puissants, je vous en conjure, enterrez ma douleur tout comme j'ai inhumé ces mèches, susurre-t-elle les yeux clos, ses mains en communion avec la terre.

Elle se dresse, comme investie par une énergie mystérieuse, une résolution inexplicable s'empare d'elle telle une incantation magique.

Elle se redresse et se dirige vers le cœur même du campement.

Les échos stridents des lames croisées et les clameurs viriles des combattants ne suscitent plus en elle la moindre peur, bien au contraire. Ils acquièrent une certaine aura à ses yeux, presque captivante, qui fait naître en elle l'élan d'une admiration grandissante. Désormais, ces bruits martiaux éveillent en elle un désir latent d'assimiler l'art de la guerre, de maîtriser les mouvements des armes et de participer à cette danse brutale qui détermine souvent le destin des nations.

six journées sont écoulées  languissamment pour Tihya, avec la lenteur du temps dans l'attente et la tension.

Depuis la dernière bataille, ils ont été contraints de marcher vaillamment afin de dresser leur campement devant les remparts de Numance.

Les légions romaines ainsi que les guerriers numides s'emploient à préparer le terrain pour ériger les fossés qui encerclent la cité.

Néanmoins, elle commence à s'acclimater aux us et coutumes des guerriers numides, gagnant en retour leur respect, à l'exception notoire de Bomilcar, dont le mépris envers elle reste manifeste et non dissimulé.

Le regards de Tihya parcourent les tentes des cuisiniers, s'affairant pour apporter un peu de réconfort aux soldats exténués par le travail acharné.

Observant l'expression de fatigue sur le visage de l'un d'entre eux, elle s'empresse de tendre la main en signe d'aide.

Une main romaine.

—  Laissez, je prends le relais, prononce-t-elle d'une voix douce et empreinte de sollicitude, tandis que l'épuisement se lit clairement sur les traits du jeune homme.

Une lueur d'étonnement traverse ses yeux vifs ; ce jeune homme, qui n'a pas encore vécu la moitié de la vie des autres, hausse un sourcil incrédule.

— Vous feriez cela ? Si un des officiers vous surprenait, il ne manquerait pas de sévir contre moi pour avoir laissé ma place.

Tihya plisse légèrement le front, en quête d'explication.

—  Pourquoi donc ? S'enquiert-elle.

—  Vous êtes une femme, dit-il à voix basse, comme si prononcer ces mots à voix haute était une honte en soi.

Numidia Tome 1 : Le Spectre Du Néant ( En Réécriture) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant