T1.5 // PROLOGUE

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PROLOGUE

Deux ans auparavant,

Tous les ans sans exception. Comme son mot l'indique, tous les ans elles reviennent me voir sans mal. Après tout c'est écrit dans son étymologie. Du latin anniversarius, qui veut dire « qui revient tous les ans ». Mes six ans de latin m'ont enfin servi à quelque chose.
Douces et réconfortantes, elles sont à la fois ceci et anxiogène et mélancolique. Je sais, c'est un drôle de paroxysme.

Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi ça m'arrive ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

Toutes ces questions que je ne cesse de me répéter en boucle tous les ans au même moment comme une vieille musique qui n'est pas décidé à s'arrêter.

Je leur en veux tellement, tellement que ça m'en fait mal au cœur. J'ai peine à respirer tellement que mes pleurs s'intensifient. Il leur a fallu qu'on se dispute, le jour de mon anniversaire. Je mords mes lèvres.

Assise sur le sol froid du carrelage de la salle de bain. Mon regard est hypnotisé par l'eau qui coule du robinet. Ça va bientôt faire 10 minutes qu'il coule espérant ainsi cacher mes pleurs silencieux. Je pense que je devrais aller le fermer. Y'a des personnes dans ce monde qui meurent de soif après tout.

J'essuie mes larmes d'une traite, renifle deux ou trois fois et stoppe l'eau dans sa lancée. Je prends le temps de me regarder dans le miroir. Je suis affreuse, comme toujours j'ai envie de dire. Mes cheveux sont encore plus en pétard que d'habitude, mes yeux sont rougis à cause de mes larmes et les côtés sont irrités. Je regrette déjà d'avoir pleuré.

Je renifle une nouvelle fois, arrache une nouvelle fois mes lèvres à m'en faire mal, rallume l'eau froide et la passe sur mon visage lorsque j'entends mon nom crié. Mon pouls s'accélère. Des flashs me reviennent de cette nuit-là. 4 ans maintenant. Je passe un rapide geste contre ma nuque avant de quitter cette pièce étouffante.

J'appréhende le moment où j'arriverai en bas. Critiques ? Cris ? Insultes ? Je sais pas encore, après tout j'ai déjà eu le droit à chacun d'entre eux, ça ne devrait même plus m'étonner.

— Viens manger, me dit ma mère lorsqu'elle me voit sans aucune délicatesse dans sa voix.
— J'ai pas faim.
   
Elle s'arrête de marcher pour me dévisager.

— Et je peux savoir pourquoi ?
— J'ai pas faim c'est tout.
— Je m'en fous tu manges maintenant ou jamais, c'est compris.
  
Mon regard se perd dans le vide tandis que mon estomac crie famine. Je sais que je devrai manger, que je devrai prendre des forces et surtout du poids, mais si je prends ne serait-ce qu'une bouchée maintenant, je sais que je vomirai.
   
Prête à m'engager vers les escaliers, j'entends sa voix m'appeler :

— Tu vas où ?
— J'ai pas faim.
— Viens manger maintenant.
— Mais-
— Y'a pas de mais, tu manges maintenant. Tu vas pas faire chier ton monde, je te préviens.
— Je
   
Forcée malgré moi, je m'installe et prends l'assiette qu'on me tend. Je sens mon ventre se soulever à l'odeur du plat. Je déglutis. Il manquerait plus que je vomisse le jour de mon anniversaire, ça serait ma cerise sur le gâteau. Gâteau que je n'ai pas eu en y réfléchissant, mais bon je devrais être habituée depuis quelques années maintenant.
  
Je traîne bien ma fourchette dans mon assiette de longues minutes, comme si ce simple geste allait faire disparaître ce qu'il y a dedans ou allait me faire oublier ce que je suis en train d'entendre en ce moment. Des reproches. Encore et encore. Même aujourd'hui...
  
Alors oui, peut-être que je l'ai mérité. Peut-être qu'annoncer l'arrêt de mes études n'était peut-être pas une bonne idée, surtout pas aujourd'hui, mais je m'attendais peut-être quand même à le droit de m'exprimer, de m'expliquer sur mon choix, mais ça n'avait pas l'air de trop les intéresser. Comme tout de ma vie j'ai envie de dire.
  
J'ai envie de rire, un petit sourire se dessine au coin de mes lèvres. J'ai envie de pleurer, mes yeux se baissent. J'ai envie de dormir, ma tête se repose sur mon poing. J'ai envie de parler, mes dents mordent ma lèvre. J'ai envie de crier, ma gorge se déglutit. J'ai envie de danser, mon pied s'agite. J'ai envie de réfléchir, le noir réapparaît. J'ai envie de me faire mal, je laisse mon cœur souffrir en silence. J'ai envie de mourir, je patiente...
  
Personne ne me comprend. Personne ne m'aide. Personne ne s'inquiète. Personne ne m'aime. Pourtant. Pourtant ça se voit. Je suis leur fille après tout. Peut-être sont-ils habituées à me voir ainsi ? Tellement qu'ils oublieraient comment je suis quand je suis heureuse.
  
Je regrette de suite ce que je fais : penser.

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⏰ Dernière mise à jour : May 18 ⏰

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𝐴𝑙𝑙 𝑟𝑜𝑠𝑒𝑠 ℎ𝑎𝑣𝑒 𝑡ℎ𝑜𝑟𝑛𝑠Où les histoires vivent. Découvrez maintenant