2. Métro

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Arrivée à la bouche de métro je fourre la viennoiserie dans ma bouche.
Je défais une bretelle de mon sac à dos et le fais basculer pour attraper mon pass rangé dans la poche avant.
Je récupère mon petit déjeuner d'une main, badge de l'autre, pousse le tourniquet puis la porte du coude.

Je rejoins la foule qui s'engouffre dans un couloir étroit pour atteindre le quai.
Sur celui-ci les affiches de publicité courbées habillent la faïence du métro.

Blanche neige et sa pomme rouge célèbrent le 30 -ème anniversaire d'un parc d'attraction sur l'une tandis qu'une superbe femme rousse des années 50 plongée dans son jeu d'échecs dont la vie est la nouvelle série à la mode est affichée sur une autre.

Je n'ai pas à chercher beaucoup plus loin pour comprendre ce qui a alimenté la catastrophe de cette nuit.

Malheureusement, trouver ce qui a inspiré mon rêve ne permet pas de l'éviter ni d'empêcher ses conséquences.
Tout au mieux je peux me défaire d'une certaine culpabilité.
Je ne peux pas éviter toutes les publicités. Je ne peux pas rester les yeux fermés, sans rien voir, sentir, entendre ni vivre.

Je le sais, j'ai déjà essayé.
Rester chez moi enfermée, seule, à ne rien faire d'autre que survivre.
Les rideaux tirés, sans regarder la télé, sans allumer l'ordinateur, sans lire aucun livre, ni jeter même un coup d'œil à mon portable.
Ça ne fait qu'empirer les choses.

Non seulement je continue de rêver, mais mon imagination s'emballe.
Je vais de rêve absurde en cauchemar et je blesse de pauvres innocents.

Combien sont morts par ma faute ?

Je me souviens de mon premier amour à qui je n'avais pas osé dire non pour voir un film d'horreur.
Nous avions 14 ans. Il voulait faire le grand, me réconforter dans ses bras.

Il a fini poignardé.

Enfin, si on peut dire ça.
Poignardé dans mon rêve, en tous cas.
Dans la réalité il a fait une crise de somnambulisme et a chuté sur les couteaux du lave-vaisselle ouvert.
Tellement improbable.

Dans le foyer où nous étions, tous étaient sidérés.
Une enquête avait été ouverte et Annie, que j'adorais et considérais comme ma mère de substitution, avait finalement été désignée coupable d'homicide involontaire en tant que responsable des cuisines.
J'avais pleuré, hurlé, frappé, rien n'y faisait, personne ne voulait croire que la faute était mienne.

J'avais tué mon premier amour et l'âme d'Annie.

On me réconfortait, pensant que la douleur me faisait délirer.
Je ne mangeais plus.
Je ne dormais plus.
Je voulais mourir.

Léo m'a sauvé de cet enfer.
Du haut de ses 12 ans il a su me consoler, il a accepté de me croire, il a accueilli ma culpabilité et m'a aidée à la transformer en force.

J'ai par la suite essayé de le mettre à distance, pour le protéger, mais il est resté auprès de moi, jour après jour, sans faillir, malgré les blessures involontaires que je lui infligeais, préférant en rire.

Et moi qui ne voulais plus m'attacher à personne, je l'ai laissé me convaincre de lui laisser une place dans ma vie.

Je souris en pensant à lui. Il a bien grandi.
Je regarde ma montre. 8h30.
Il doit être encore dans son lit.

Je me le représente parfaitement : étalé, en diagonale sur le matelas, sur le ventre, dans un pyjama de gamin qui habille son corps d'homme, la tête enfouie dans son oreiller, les cheveux ébouriffés, un bras pendouillant, l'autre sous l'oreiller.
A ses côtés, probablement une nouvelle fille tombée sous son charme fou dont il n'a absolument pas conscience.

Py.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant