L’eau chaude délasse mes épaules et mes soucis roulent le long de mes cheveux humides. A mes pieds une flaque argentée tourbillonne autour de la bonde sans s’écouler tandis que je frotte mon ventre rond avec douceur. Je laisse l’eau léchant l’écume savonneuse courir sur mon corps et ferme les yeux.
Un sentiment de plénitude absolue m’envahit.
Un vent doux caresse mon visage et je soulève mes paupières. Debout sur un chemin de tuiles suspendu à la nuit je sens quelques mèches ondulées danser à mes épaules et une couronne ceindre mon front. La douceur de ses pétales me fait accepter ce fardeau et je relève dignement mon menton.
J’avance à pas sereins dans un bruissement de mousseline froissée et sens le tissu délicat sur ma peau. Sur mon passage des silhouettes indistinctes s’agitent dans l’obscurité. Une nuée d’yeux s’allume dans la nuit, clignant tour à tour et je sens leurs pupilles me suivre. L’air est dense, chargé de chuchotements et de mystère.
Au bout de ce tapis d’argile le vide m’appelle. Ma mère pose sa main sur mon épaule et hoche la tête. Sans vertige je me penche. Le néant renvoie notre reflet.
Je détaille le visage de celle que mon cœur a reconnu. Ses traits brouillés se précisent et dessinent la jeune femme enceinte de la veille. Elle ouvre lentement la bouche en silence puis hurle sans un son tout en me fixant. Dans un battement de cil, la vie s’échappe de son regard et elle chute, dans sa robe devenue linceul.
J’ouvre les yeux et fixe les étoiles éteintes à mon plafond. Au pied de mon lit, Léo attend, déroulant sans fin les publications sur son téléphone.
« - Elle est morte. »
Je m’entends parler sans être sûre qu’il s’agisse de ma voix. J’ai tué l’une des seules personnes qui aurait pu m’aider. Une rage folle s’empare de moi et m’immobilise.
« - Qui est morte ? »
Léo se relève et s’assoit sur le matelas à mes côtés.
« - De quoi tu parles Py ? »
Il m’est impossible de bouger.
« - Ça va ? »
Des larmes roulent sur mes joues et Léo se précipite pour me prendre dans ses bras.
« - Py ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Dis-moi ! »
Je fonds en sanglots contre lui et trempe son épaule. Il me frotte le dos d’une main et me serre de l’autre. J’abandonne ma colère dans cette étreinte et le laisse soutenir mon corps et mon âme.
Il me faut au moins une heure pour m’apaiser et réussir à me confier.
Entre deux hoquets je relate à Léo les évènements de la veille ainsi que mon rêve, il m’écoute sans m’interrompre mais essuie de temps à autre mes joues.« - Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire… Py, t’as pas fini de te foutre dans des situations de merde toi, hein ? Rassure-moi, tu ne vas pas y aller ce soir ? »
Je le regarde interloquée.
« - Bien sûr que je vais y aller. J’ai besoin de comprendre ! »
Il lève les yeux au ciel et se rejette en arrière tout en passant une main dans ses cheveux pour dégager son front. Il sait que je ne cèderai pas. Il soupire.
« - Je peux au moins t’accompagner ? »
J’hésite, l’idée n’est pas mauvaise mais la femme semblait vouloir que je vienne seule, j’ai peur de l’effrayer et de perdre définitivement toute possibilité de comprendre un jour quelque chose à mon histoire. Cependant, je ne sais pas dans quelle affaire je m’aventure et la présence de Léo me rassurerait.
« - Ok, si tu restes loin. »
*
Il est un peu avant vingt et une heures lorsque j’entre chez Pimprenelle. Situé en haut de la rue Mouffetard, ce petit bar aux allures de chez soi est plus fréquenté qu’attendu un dimanche soir. Je passe le premier salon aux fauteuils et canapés dépareillés pour trouver le comptoir et commande un cocktail sans alcool. Je veux rester sobre pour la rencontre. Après avoir récupéré ma boisson, je m’installe à une table dans un recoin discret.
Les places voisines sont libres et la musique est juste assez forte pour assurer l’intimité à une conversation. Je jette un regard à Léo et Ryu assis plus loin. Ils boivent à petites gorgées leur pinte et discutent sans artifice.
Je joue avec ma paille quand la mystérieuse femme rencontrée ce matin me rejoint.
« - Personne ne vous a suivi ? »
Je secoue la tête sans mentir. Elle vérifie la salle d’un regard inquiet puis tire la chaise en face de moi pour s’assoir à mes côtés.
« - Je vous ai tout de suite reconnue. Vous êtes son portrait craché. Un visage que vingt-quatre ans ni mille n’auraient pu me faire oublier. Je suis curieuse, comment avez-vous découvert l’Amphictyonie ? Ils ne semblent pas vous avoir retrouvée et votre mère disait que je serais la seule à pouvoir tout vous expliquer.
- Expliquer quoi ? De quoi parlez-vous ?
- L’Amphictyonie, les Pythies, ce que votre mère a fait pour vous protéger… Comment l’avez-vous découvert ? Et comment avez-vous réussi à rester cachée ?
- Je suis désolée, je ne sais pas de quoi vous parlez, je ne comprends pas…
- Ce n’est pas possible, vous êtes bien venue essayer sauver Asha ce matin ? Vous saviez.
- Asha ? »
Elle me fixe, surprise.
« - Vous ne savez pas… »
Elle reste un temps perdue dans ses pensées, retenant son visage dans ses mains. Je jette un regard discret à Léo qui m’interroge du menton, je hausse les épaules incapable d’expliquer quoi que ce soit.
Elle finit par reprendre.
« - La Pythie, enfin, la jeune femme que vous avez demandé à voir ce matin, vous n’étiez pas venue pour la sauver ? »
Je secoue la tête lentement. Elle soupire.
« - Alors je suppose que votre mère avait raison… Vous avez fini par être rappelée aux autres et mon rôle va être de tout vous expliquer… »
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Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...