3. Amphi

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J'arrive dans l'amphi, le cours vient juste de commencer.
C'est de la biologie cellulaire, le prof n'a pas changé, c'est le même qu'au premier semestre.

Je me glisse discrètement sur le dernier banc à côté de Justine en retirant mon manteau et pose mon sac.
Sur son ordinateur je vois une page de notes ouverte mais c'est le fil d'actualité de son réseau social qui a toute son attention.

Mon arrivée la fait quitter des yeux son écran, elle se tourne vers moi avec un sourire :

« - Salut Juliette ! Bonne année ! »

Comme d'habitude elle est trop maquillée. Le rendu recherché est probablement « nude » mais son fond de teint trop clair est appliqué en couches trop épaisses et ses sourcils sont trop marqués. Sa coupe carré en revanche est parfaite.

Je lui réponds poliment sans vraiment prêter attention :

« - Salut Justine, merci, tout pareil »

Je sors mon polycopié et un stylo pour prendre des notes. J'essaye de me plonger dans le cours mais visiblement Justine a envie de parler ce matin.

« - T'as passé de bonnes vacances ? »

Je me penche un peu sur le pupitre et regarde à côté d'elle. Claire n'est pas là. Merde. Elle a sûrement une tonne de choses à raconter avec les congés qui se sont écoulés et pas d'auditoire. Je ne vais jamais pouvoir écouter le cours.

« - Ouais, ouais. »

Je tente la technique de la réponse fermée. J'espère qu'elle va comprendre que je ne veux pas discuter.

Elle reste silencieuse quelques minutes puis :

« - Et bin moi ça a été compliqué, je te raconte pas... »

Je ne réponds pas, espérant qu'elle s'en tienne à cette dernière proposition qui me convient parfaitement mais elle enchaîne rapidement :

« - Tu te souviens d'Antoine que j'avais rencontré à la soirée d'Emma ? Tu sais, son pote d'enfance ? »

Je hausse les sourcils et pince mes lèvres. J'espère qu'elle y comprendra que j'ai manqué trop d'épisodes de cette histoire pour que ça vaille la peine de me raconter la suite.
Visiblement, elle y comprend que je meurs d'envie qu'elle reprenne tout depuis le début.

« - Bon et bin, pour Halloween, Emma avait organisé une soirée déguisée. Je m'étais faite super belle et un peu sexy parce qu'Arthur était invité aussi et je pensais que ce serait l'occasion de rediscuter de se mettre ensemble donc je voulais mettre toutes les chances de mon côté. Bref, ce connard est venu avec Ines qui a fait que de l'allumer toute la soirée. Elle était habillée comme une pute, c'était n'importe quoi, je te jure... J'étais trop vener alors j'ai fait genre je me rapprochais d'Antoine, un pote d'Emma que j'ai rencontré là-bas, pour montrer que moi aussi j'avais tourné la page. Bon, il est pas fou niveau physique mais il a du charme. Et, en fait, on a passé une trop bonne soirée. Je lui ai filé mon numéro et depuis on s'envoie tous les jours des textos. Aux vacances de Noël on a décidé de se revoir et il m'a donné rendez-vous dans un café. C'était un endroit sympa en vrai, mais c'était un peu awkward, on a fini par décaler pour aller prendre un verre. A la fin de la soirée, je lui propose qu'on aille un peu chez lui et on finit par s'embrasser. C'est devenu un peu chaud mais on n'est pas allés plus loin, je devais prendre le dernier métro pour rentrer. Je rentre chez moi donc, un peu contente de le laisser sur sa faim, et là je reçois quoi ? Un vieux texto de bonne nuit comme d'hab' ! Non mais sérieux, regarde ! ».

Elle prend son téléphone et remonte la conversation pendant un temps que je trouve très inquiétant pour ma disponibilité psychique à venir.

Elle retrouve le message et me le montre, ainsi que les dizaines de suivants, me demandant ce que j'en pense sans pour autant me laisser répondre.

Je vois arriver un message de probablement mille cinq cents mots arriver et mon instinct de survie me fait déconnecter de cette réalité. Je la laisse parler sans entendre vraiment, je souris et acquiesce de temps en temps.
L'illusion semble fonctionner.

«- Voilà, donc tu comprends ! » conclue-t-elle.

Je comprends surtout qu'Antoine a dû lui aussi passer des vacances compliquées et que je vais sûrement sécher les cours de l'après-midi.

L'heure de cours s'est écoulée, le prof répond aux questions et quelques personnes quittent l'amphi pour aller prendre un café.

J'hésite à rester pour le prochain cours, Justine a fini son monologue et est de nouveau sur son ordinateur.
Elle regarde les photos d'une fille qui enlace un peu trop souvent quelqu'un pour que je lui souhaite d'être Antoine.

Mon téléphone vibre.

« Merci Py ! Tu m'as sauvé le cul au taf. Ce soir je t'offre un verre ! »

Je ne réponds pas.

« Deux ? »

J'attends un instant.

« Deux et un bisou ?»

Je souris. En dix ans il n'a pas changé. Il reste ce gamin adorable à qui je ne sais pas résister.

Je déverrouille mon portable pour lui répondre :

« Deux, un bisou et un gage. »

« Arf, t'es dure en affaires... Ok, deal, mais c'est bien parce que c'est toi »

Quel gage vais-je bien pouvoir lui trouver pour qu'il arrive enfin à l'heure ?

Je n'ai pas le temps de creuser vraiment cette réflexion, le second cours commence déjà.
Cette fois ci je ne connais ni le prof ni la matière. Il va falloir que je me concentre.

Justine est toujours sur son ordinateur, s'il y a assez de photos sur le profil de cette pauvre jeune fille ça peut le faire.

Le prof est âgé et bedonnant. Pour masquer sa calvitie, il a rabattu sur le haut du crâne quelques longs cheveux fins. Je me demande à quoi il ressemble quand il n'est pas coiffé. A-t-il ses trois longs cheveux qui pendouillent d'un seul côté ? En fait il une tresse la nuit ?

Je chasse d'un geste ces pensées et me focalise sur le cours. Je suis rapidement fascinée par le sujet et ne vois pas le temps défiler.

Au bout d'une petite heure Justine se tourne vers moi, me fixe un instant l'air grave et me dit :

« - Tu savais qu'Ines et Antoine se connaissaient ? »

Py.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant