Avant d'aller plus à la rencontre du personnage du psychologue je tiens à rappeler qu'il s'agit ici d'une fiction et que mon récit ne vise absolument pas à représenter la réalité ni d'une prise en charge psychologique ni d'une relation thérapeutique. Pour les besoins de l'histoire les comportements des protagonistes seront même très éloignés de ce qui me semble être professionnel.
« - Installez-vous, je vous en prie. »
D’un geste franc et poli le psychologue m’indique au centre de la pièce deux canapés qui se font face, séparés par une table basse.
Dans un mouvement automatique je m’assieds sur celui qui m’est le plus proche, sans trouver de position idéale, plus incommodée par mon malaise que par les ressorts que je sens sous l’assise élimée.
L’Apollon sondeur d’âme prend place en face de moi.
«- Ne soyez pas gênée. Cet espace est le vôtre. Comment puis-je vous aider ? »
Je me tortille sans savoir quoi répondre. Un silence s’installe et je plaque mes mains sur mon visage.
Je finis par me lever.
« - Je suis désolée, c’était une erreur… Je… Je vais y aller. »
Je me dirige vers la porte mais avant de l’avoir atteinte je sens une main chaude et douce prendre mon poignet.
« - Attendez. C’est moi qui suis désolé. »
Je me retourne, surprise.
« - L’autre jour, à la sortie du métro, c’était vous ? »
Je ferme les yeux et porte une main à mon front dans une tentative, que je sais d’avance vaine, de disparaitre.
« - Ouvrez les yeux s’il vous plait. »
Je m’exécute à contre cœur et vois le psychologue défaire les boutons de sa chemise. Je reste figée. Je me suis réveillée chez moi, je me souviens de la position inconfortable que nous avions prise avec Léo, ma nuque est encore douloureuse, je suis allée à la fac puis à mon rendez-vous.
Non, il ne s’agit pas d’un rêve. Pourtant j’ai bien en face de moi un homme superbe, torse nu, imberbe et finement musclé qui me montre son deltoïde, ecchymosé.« - Moi aussi j’ai tenté la porte… »
Je comprends alors et éclate de rire.
Le psychologue reboutonne sa chemise et me tend la main.
« - Recommençons depuis le début si vous le voulez bien. Hyacinthe Amyklai, mais vous pouvez m’appeler Hyacinthe tout simplement si vous préférez. La plupart de mes patients le fait. Vous permettez que je vous appelle par votre prénom ?
- Oui, bien sûr, aucun problème.
- Merci Juliette. Retournons nous asseoir, vous voulez bien ? »
J’acquiesce et reprends la place que j’occupais sur le canapé il y a quelques minutes. Elle me semble étrangement plus confortable maintenant.
« - Je voulais y venir assez vite mais vous ne m’avez pas laissé le temps. Je me souviens vous avoir vue lundi, vous vous êtes blessée, exactement comme moi quelques jours auparavant. Je me suis reconnu en vous et j’ai hésité à venir vous voir mais j’ai pensé que vous seriez gênée, de la même façon que je l’aurais été à votre place. Ne laissons pas cette histoire abîmer l’espace que je souhaite vous offrir ici d’accord ?
- Merci… Et désolée de vous avoir fait vous déshabiller…
- Ah ça… C’est encore moi qui m’excuse, ce n’est absolument pas professionnel de ma part mais j’aime croire qu’un bon psychologue est capable de transgresser quelques règles pour mieux accompagner ceux qui en ont besoin et j’ai pensé que c’était votre cas, non ?
- Peut être…
- Dites moi ce qui vous amène Juliette. »
Il me faut quelques minutes pour trouver le courage de commencer à parler.
« - Juliette Salicorne. Parce qu’on m’a trouvé le 30 juillet et que l’officier d’état civil avait un amour fort pour la République et peu d’imagination. On suppose que je suis née approximativement à cette date, dans la ruelle parisienne où était le carton qui me servait de couffin, matelassé d’ordures. Ça donne le ton, hein ? »
Hyacinthe hoche doucement la tête et d’un geste de la main m’invite à poursuivre.
« - On trouve rarement des nouveaux nés dans la rue, la procédure est assez mal établie pour ce genre de cas et il a fallu plusieurs années avant que je ne me trouve une place dans le système administratif. C’est probablement pour ça que je suis passée entre les mailles du filet de l’adoption. J’ai grandi en pouponnière puis en foyer. A douze ans j’ai rencontré Léo, mon meilleur ami, qui est devenu pour moi ma famille. Il m’a aidée à traverser l’un des plus grands traumatismes de mon histoire. Depuis nous sommes inséparables. Je crois qu’on peut dire que je donnerais tout pour lui et inversement. »
Je marque une pause et jauge la réaction du psychologue. Il est attentif mais je ne perçois ni pitié ni aucune forme de jugement dans son regard.
Je profite de ce répit pour retravailler mon souvenir traumatique de façon à le présenter à mon auditeur sans finir internée.
« - J’étais amoureuse d’un garçon du foyer à l’époque. Il est mort accidentellement en tombant sur les couteaux du lave-vaisselle. C’est moi qui l’avais laissé ouvert, je me suis sentie responsable de ce qu’il s’est passé. Malgré tout, c’est la préposée aux cuisines qui a été condamnée. Léo m’a aidée à porter cette culpabilité qu’il a été le seul à entendre. Et ce n’est pas la seule fois que j’ai dû porter cet horrible sentiment. Plusieurs fois les évènements ont été tels que ma responsabilité a été en quelque sorte engagée et je ne le vis pas très bien. Je fais le lien avec l’abandon par mes parents par exemple … Je me demande à quel point je n’en suis pas responsable… Enfin, voilà pourquoi je suis là, vider un peu mon sac empli d’une culpabilité qui est probablement mal placée, je crois. »
Je regarde Hyacinthe. Penché en avant, les coudes appuyés sur ses genoux et les mains rassemblées sous son menton il me regarde l’air circonspect et reste silencieux. Je me décide à avouer :
« - Je ne vous cache pas que j’ai beaucoup hésité à venir. J’ai peur qu’on me prenne pour une folle et que je finisse hospitalisée et assommée de médicaments mais je vous promets que je ne le suis pas. »
Je vois Hyacinthe sourire avec amusement.
« - C’est ce qu’une folle vous aurait dit c’est ça ? »
Il se redresse et me répond enfin.
« - Je n’aime pas beaucoup le terme de folie, même si je sais qu’il est largement employé dans le langage courant, mais j’entends votre crainte. Soyez tranquille, je souhaite avant tout vous aider. Même si vous me disiez que vous aviez, je ne sais pas, par exemple un don de télépathie, de communication divine ou de prescience, ce qui m’importerait le plus serait votre souffrance. Il me semble que mon rôle est avant tout de vous soulager et si vous vous imaginez des choses en dehors de la réalité, tant qu’elles ne mettent personne en danger et que vous n’avez pas de plainte, mon rôle n’est pas de vous faire entrer dans le moule de la société. De toutes façons je suis psychologue, pas médecin, je ne peux pas vous faire hospitaliser contre votre volonté. Au mieux je peux appeler le 15 ou vous demander de consulter si je pense que vous êtes en danger. Et je ne pense pas que nous en soyons là, si ?
- Non, non…
- Très bien, alors sentez-vous libre de me parler et de raconter tout ce que vous souhaitez sans vous brider. Je suis soumis au secret professionnel, tout ce que vous direz restera entre nous. »
Je m’efforce d’expirer lentement par la bouche pour aider mon cœur qui bat la chamade à se calmer, relève la tête et recommence :
« - Juliette Salicorne. Parce qu’on m’a trouvée le 30 juillet dans une ruelle après que ma mère m’a abandonnée à cause d’une tare invraisemblable. »
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Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...