Devant le bar quelques personnes fument. Au printemps le trottoir devient rapidement l’annexe du pub mais ce soir il fait trop froid pour s’attarder.
Je passe la porte que retient Léo et nous nous retrouvons dans la rue. En la relâchant elle retombe lourdement derrière nous. Le bruit est aussitôt contenu et l’on ne perçoit bientôt plus que quelques vibrations. La ville parait presque silencieuse à mes oreilles qui bourdonnent.
Une fois sur le pavé, je tiens mes bras en les frictionnant pour me réchauffer. Le vent me décoiffe et j’essaye de dégager mes cheveux de mon visage. Je lutte avec ceux qui se sont coincés dans ma bouche quand Léo vient à ma rescousse. Délicatement, il prend la mèche qui me malmène et la fait glisser derrière mon oreille.
Il se positionne de façon à m’abriter du vent et frictionne à son tour mes bras.« - Qu’est ce qui ne va pas Py ? C’est l’histoire avec la boulangère qui te met dans cet état ? »
Je saisis le prétexte et acquiesce silencieusement sans oser le regarder. Je ne crois pas avoir déjà menti à Léo.
« - Ok c’est un coup dur mais tu as vécu pire. Et tu as toujours réussi à surmonter ça. T’as pas choisi ce qu’il t’arrive et t’es la première à en souffrir. »
Nous restons silencieux un temps.
Je porte à ma bouche mes mains glacées pour les réchauffer en soufflant dessus. Léo me les saisit.
« - Donne-moi ça. »
Il les place sous son tee-shirt, et d’un geste ferme appuie dessus pour m’inviter à les laisser. Il m’attire ensuite à lui et m’enlace. Dix hivers qu’il fait ça mais c’est le premier où je rougis. Sous mes doigts je sens sa peau chaude et ses muscles fermes.
Mon cœur en traitre bat la chamade.
J’essaye le plus naturellement possible de m’écarter de lui afin de me calmer sans éveiller ses soupçons mais il maintient son étreinte et plante ses yeux dans les miens. D’un ton grave il me dit :
« Py. Tu es exceptionnelle. Tu es la chose la plus précieuse que j’ai. On prend le temps qu’il faut mais je veux te voir sourire. Je veux te voir heureuse. »
Je suis honteuse de tromper ainsi notre amitié. Dans un sourire que je veux spontané je dis en m’étranglant :
« - Oui, tu as raison, il faut aller de l’avant. On est venus pour se détendre non ? Alors je me bouge et je vais profiter. On rentre et tu me présentes tes nouvelles amies ? »
Il ne desserre pas ses mains nouées dans mon dos et me dit gravement :
« - Sûre ?
- Oui, oui. Sûre. Allez, on y va »
Je me tortille un peu et me détache de lui.
Je suis presque arrivée à la porte quand Léo attrape mon bras. Je me tourne vers lui, immobilisée par son geste. Il maintien sa prise et de son autre main prend mon menton doucement. Le temps est suspendu. Il a un regard que je ne lui connais pas, presque douloureux, et un sourire que je trouve triste.
Il réduit notre distance en m’attirant vers lui.
Je le repousse gentiment en riant :
« - Qu’est ce que tu fous Lélé, tu vas pas m’embrasser quand même ! »
Mais il garde son sérieux et me répond :
« - Je ne te devais pas un bisou ? »
Son ton me surprend et augmente mon malaise.
« - Tu me devais surtout deux verres et un gage. Pour le bisou c’est bon, tu as réglé ta dette à midi, gardes en pour plus tard. D’ailleurs j’ai même eu droit à du rab’ en arrivant tout à l’heure, non ? Qu’est-ce qu’il t’a pris ? »
Il relâche mon bras et hausse les épaules, l’air de nouveau espiègle comme à son habitude.
« - Je sais pas, j’avais envie. »
Je soupire. Qu’est ce que j’attendais comme réponse ? Evidemment, il s’agit de Léo.
Je me mets sur la pointe des pieds pour passer ma main dans ses cheveux en dégageant son front. Il ferme les yeux et sourit comme un chiot qu’on caresse. Je ne peux pas lui résister. Je l’embrasse sur la joue avant de conclure :
« - Allez. Les bons comptes font les bons amis. Viens, on y va. »
Et je l’entraîne vers l’intérieur.
Avec un nouveau verre en main je retourne à notre table pendant que Léo va aux toilettes. La fin de notre conversation m’a soulagée, j’ai l’impression de retrouver mon ami et que mes sentiments sont de nouveau à leur juste place. Allégée de ce fardeau je me sens étonnamment disposée à échanger avec les inconnues de la pizzeria bien que depuis mon retour la brune me fusille du regard. Malgré tout, je me penche vers elle.
« - Salut, moi c’est Juliette ! Je suis une amie de Léo et Ryu. »
Je ne sais pas si la musique est moins forte ou si je me suis habituée mais il me semble qu’on s’entend mieux.
« - Ok. Moi c’est Chloé. »
J’attends un moment mais elle n’ajoute rien de plus. Je relance la discussion.
« - Tu fais quoi dans la vie ?
- Je suis en licence de psycho. Toi ?
- Master de biologie.
- Cool. »
Elle marque une pause puis :
« - Y’a quoi entre Léo et toi ? »
Je suis sonnée par la question, son indiscrétion mais aussi ce qu’elle vient réveiller en moi. J’essaye de prendre un air détaché :
« - On se connait depuis un bail, c’est mon meilleur ami je dirais »
Je souris et bois une gorgée.
« - Et vous êtes déjà sortis ensemble ? »
Je m’étouffe en avalant de travers. J’ai envie de lui dire combien je la trouve sans-gêne, agressive et mal orientée dans ses études mais je me retiens. Léo ne comprendrait pas et ça ferait des histoires. Je souris poliment.
« - Non, on n’a jamais eu ce genre de relation. »
Léo arrive à ce moment. Le visage de Chloé se transforme et adopte un faux air innocent et ravi. Elle s’éloigne de moi et se colle à lui, s’agrippant des deux mains à son bras.
Je les laisse et m’intègre à la conversation que l’autre fille a avec Ryu.
De nature bien plus douce elle me salue et se présente à moi comme Lucie, elle aussi étudiante en licence de psychologie. Ryu et elle parlent de jeux vidéo et de mangas et j’ai plaisir à les voir discuter. Il y a longtemps que je n’ai pas vu l’impassible colocataire de Léo s’animer de la sorte. Je sens qu’ils se sont bien trouvés.Je reste encore une petite heure avant de m’excuser. J’ai des cours qui commencent tôt le lendemain, il faut que je parte.
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Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...