Une fois la pizzeria fermée je rentre chez moi et rassemble quelques affaires pour la nuit.
Un sandwich, une bouteille d’eau, un thermos de café et un bon livre me semblent suffisants à surmonter l’épreuve de veille qui m’attend. Je les glisse dans mon sac à dos et vérifie l’heure. J’ai le temps de me rendre à pied au lieu de rendez-vous. Je propose à Léo de m’accompagner tout en lui rappelant qu’il ne peut qu’accepter aujourd’hui.
Sans rechigner il se joint à moi dans cette balade improvisée et nous prenons tranquillement la direction de l’adresse qu’a envoyée Grzegorz.Dans les derniers rayons de soleil nous continuons nos chamailleries et je fais une partie du trajet sur le dos de mon ami. De mon promontoire j’admire le panorama. Le crépuscule flamboyant se reflète dans les fenêtres des chambres de bonne des immeubles parisiens et m’éblouit. Au sol, les passants se bousculent, affairés à trouver les meilleurs soldes dans l’interminable rue commerçante où les vitrines commencent à s’illuminer.
Au pied de Montparnasse, dans le très huppé quartier de Saint-Germain-des-Prés, quelques touristes argentés s’offrent une pause dans les terrasses renommées. Nous les dépassons avant de nous engouffrer dans un dédale de ruelles pavées qui abrite le chantier que nous recherchons.
Le tumulte du boulevard diminue à mesure que nous avançons dans ce village caché de la capitale et bientôt le silence nous enveloppe. Seuls résonnent le bruit de nos pas et l’écho de nos rires.
L’église sonne sept heures et je descends du dos de Léo. Après l’avoir renvoyé avec comme mission de nettoyer mon appartement et de me préparer des crêpes pour mon petit déjeuner du lendemain, je pénètre dans un vieux bâtiment en travaux. Dans la cour intérieure, des bâches bleues déchirées laissent entrevoir des piles de dalles. A leur côté des tuyaux et des tiges métalliques sont rangés au sol. Je progresse et trouve enfin, perchée dans un échafaudage, la personne que je cherche. Je lui lance, en espérant qu’elle m’entende :
« - Je viens remplacer Grzegorz ! Il a un imprévu. »
L’homme, un jeune ouvrier en tenue, saute d’échelle en échelle avant d’atterrir dans la poussière et de me dévisager.
« - Toi ? »
Je hoche la tête et il hausse les épaules.
« - De toutes façons y’a pas grand-chose à surveiller pour le moment. »
Il fouille dans sa poche et me tend un téléphone portable à touches ainsi qu’un jeu de clés et une carte magnétique.
« - Ca c’est pour la porte principale et ça pour les autres pièces mais tu ne devrais pas en avoir besoin, pour le moment le chantier est juste à l’extérieur. Je pense pas qu’on te le demande mais si c’est le cas dis que tu t’appelles Wit Bartek. »
Il me pointe en même temps sur la carte le nom de la personne légalement employée comme veilleur pour ce soir. Sur une petite photo placée dans un coin du badge, un homme trapu, la quarantaine et le crâne commençant à se dégarnir fixe l’objectif de ses yeux clairs. Je lève un sourcil.
« - Oui, bon c’est sûr que c’est pas très ressemblant. Mais y’a pas de raison qu’on te demande quoi que ce soit. Le téléphone c’est pour si t’as un problème. Y’a le numéro du patron dedans mais évite de l’appeler je suis pas sûr qu’il sera très content de te rencontrer. »
Je hoche la tête tout en récupérant les différents objets que je glisse dans les poches de mon manteau. Il ajuste ensuite sa casquette sur sa tête, referme sa polaire et part. Je le vois s’éloigner de dos, il lève une main et me salue :
« - Je reviens demain à 8h, bon courage. »
Une fois parti je me retrouve seule dans la nuit qui s’est épaissie. Je regarde les alentours et me décide à grimper sur l’échafaudage d’où est arrivé l’ouvrier, en quête d’un lieu confortable et bien placé pour effectuer ma surveillance avec le moindre effort.
Je fais lentement l’ascension de la construction branlante, redoutant de glisser sur la fine pellicule de plâtre qui recouvre le métal froid et trouve enfin l’endroit idéal. Au sommet de l’échafaudage la vue dégagée permet de voir les environs et la plateforme est assez large pour s’assoir sans risquer de chuter. Un gobelet empli de mégots m’indique que je ne suis pas la première à avoir découvert le lieu.
Je m’y installe et sors mon livre, l’énième tome de la saga de fantasy qui me tient en haleine depuis plusieurs années. J’hume le délicieux parfum qu’exhale le papier fraîchement massicoté avant de soulever la couverture. Je saute les premiers feuillets pour trouver le début du roman et de la paume de la main écarte les pages. La faible luminosité des réverbères qui me parvient de la rue ne suffit pas à ma lecture et je regrette de ne pas avoir pensé à prendre une lampe de poche. J’improvise et utilise la lumière de mon téléphone pour m’aider dans ma lecture. La situation me rappelle mon enfance, quand je lisais la nuit les péripéties de mon sorcier préféré sous ma couverture malgré l’interdiction des éducateurs du foyer.Il est presque minuit lorsque mon estomac commence à se faire entendre ; avoir dévoré mon livre ne semble pas lui suffire. Je sors alors mon repas que je mange en regardant la ville dormir.
Le quartier est calme, les passants sont rares et les lumières sont éteintes dans les immeubles alentours. Du haut de l’échafaudage je peux voir les jardins de quelques villas cachées au cœur de Paris. Le bâtiment en face du chantier n’en est pas une mais possède aussi son espace vert, bordé d’un péristyle.
La construction au style roman m’évoque un vieux cloitre avec ses murs en pierre brute et ses fenêtres en plein cintre creusées dans leur épaisseur. Dans ce décor presque anachronique je m’attends à voir surgir à tout moment dans la galerie des moines cisterciens se rendant aux matines en coule blanche, mais l’endroit reste endormi et je décide de me replonger dans ma lecture.A deux heures du matin mon téléphone s’éteint brusquement et je regrette de ne pas avoir pensé à prendre mon chargeur. Désœuvrée, je me sers un gobelet de café et reprend mes fantasmes monacaux.
Deux clercs sont en train de s’embrasser dans un buisson lorsque je vois une silhouette encapuchonnée enjamber l’allège d’une fenêtre et sauter sur les tuiles du toit voisin. Je me pince et retrace les évènements récents pour m’assurer que je ne suis pas dans un rêve. Les deux moines issus de mon imagination débridée s’évaporent mais pas l’ombre en fuite.
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Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...