9. Jacuzzi

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Je me déchausse dans l’entrée tout en retirant mon manteau que j’accroche à la patère fixée sur la porte.

Je suis fatiguée et légèrement saoule.
J’avance en chaussettes dans la pièce principale de mon studio et cherche Milo dans ses recoins habituels. Je trouve quelques fruits secs bien cachés mais pas mon petit écureuil. Il doit être de sortie ce soir.

Un plaid sur les épaules j’ouvre la baie vitrée et me glisse sur le minuscule balcon. Je m’accoude à la rambarde, ferme les yeux et hume l’air. La rue est calme et le vent s’est adouci. Je fais le vide dans ma tête, me concentre sur mon souffle.

Nathan me tire de ma méditation :

« - Tu viens dans le jacuzzi ? »

Il est en maillot de bain, un short aux motifs de Noël s’accordant parfaitement au serre tête qui lui fait des bois de renne. Il est bien plus musclé que ce dont je me souviens, notamment au niveau du ventre. Un « W » est inscrit sous son nombril.

« - T’as pas froid comme ça ?

- Je suis congelé oui ! Tu ne veux pas me prendre dans tes bras pour me réchauffer ? 

- Non mais ça va pas ?

- Bon, bin alors viens avec nous dans l’eau ! »

Derrière lui, au milieu de la grande pièce luxueuse, je vois un jacuzzi. Léo y est, un bonhomme de pain d’épices à la main. 

« - Py ! Tu es en retard ! »

Soudain dans le bain avec une bière à la main, je réponds.

« - Tu vas faire quoi ? Me donner un gage ? »

Il s’avance et pose ses mains de part et d’autre de mon corps. L’eau le fait flotter et il est au-dessus de moi sans me toucher. Son visage s’approche et il frotte doucement le bout de son nez contre le mien. De sa bouche entrouverte je sens s’échapper un souffle chaud et alcoolisé. 

« - Tu voudrais ? »

Je ne sais pas quoi répondre. Je sais très bien où je suis. Je sais très bien ce qu’il pourrait se passer. 

Il promène son visage sur le mien et ses lèvres frôlent plusieurs fois ma peau. 

Il descend lentement le long de mon cou et disparait dans les remous de l’eau. 

Face à moi dans le bain je vois Chloé. Elle me fixe, l’air moqueur. Sa poitrine voluptueuse est difficilement contenue par son bikini noir et or. Elle est superbe et je me sens ridicule. Je regarde mon corps, celui d’une enfant, il me semblait pourtant avoir acquis quelques formes depuis l’adolescence. 

Dans les bras l’un de l’autre, Chloé et Léo se regardent maintenant de façon très sensuelle. Il prend son menton dans sa main et l’attire à lui. Je me détourne quand ils s’embrassent langoureusement. 

Je sors du jacuzzi et patauge dans une eau visqueuse. J’avance un long moment, enroulée dans ma serviette, le long d’un chemin humide qui me conduit à un gigantesque escargot. Un bruit de notification de téléphone me fait me retourner.

Justine, dans une tenue d’infirmière très courte me parle, sans que je comprenne ce qu’elle me dit. Je cherche à m’extraire de la situation mais Justine commence à me poursuivre. Dans cette course sur la coulée de bave je regarde par-dessus mon épaule et la vois soudainement chuter.
J’entends un bruit sec. Elle s’est cassé la jambe.

J’ouvre les yeux et fixe le plafond. Je suis une catastrophe. J’ai encore blessé quelqu’un. 

Un malaise m’envahit, mélange de culpabilité et de honte. Il me semble que la blessure de Justine en est la cause mais je n’ai pas la naïveté de croire qu’il ne s’agit que de cela. 

Mon portable m’indique qu’il est déjà 7h, je me lève et me prépare pour ma journée. Il faudra que je prenne en note les cours pour Justine, c’est le moins que je puisse faire pour elle.

Mon café est en train de couler lorsque le battant de la chatière se relève. Milo s’approche à petits bonds.
Je m’accroupis pour l’accueillir et lui caresse la tête. Il monte dans ma main et remonte mon bras pour se loger sur mon épaule. Il prend la position d’un chien de prairie et m’observe en train de déjeuner. Avant de partir me doucher je lui donne le sien qu’il s’empresse d’emporter dans l’une de ses cachettes.

Baskets au pieds, sac au dos, je colle un baiser à Milo et pars. 

Je ne passe pas par la boulangerie ce matin mais retrouve le même métro que la veille avec, bien que les visages soient différents, la même mauvaise humeur parisienne. 

Je ne risque pas mon épaule sur la porte de sortie libre cette fois-ci et reste sagement dans ma file. J’avance lentement mais il me semble que la leçon d’hier m’a suffi.

Je regarde l’autre file avancer et me demande si je n’aurais pas mieux fait de la choisir. Il ne reste que trois personnes devant la jeune fille aux cheveux bleus que j’ai prise comme repère en arrivant et j’en compte six devant moi. 

Derrière elle je remarque le jeune homme moqueur de la veille. Il me semble qu’il ne m’a pas vue, j’en profite pour le détailler discrètement. Je me veux analytique, pour éviter que des émotions trop fortes ne viennent ancrer ce pauvre innocent dans mes rêves. 

Quelle poisse, il est vraiment beau. 

L’air sérieux mais le regard espiègle il porte bien sa petite trentaine. Ses cheveux bruns sont légèrement ondulés et un épi jure avec sa tenue soignée : manteau de laine droit et écharpe noire en cachemire. Il porte une serviette en cuir qui me fait m’interroger sur ce qu’il fait dans la vie. 

Les rares étudiants que je croise avec cette maroquinerie ont un âge bien plus avancé ou un air bien moins séduisant. Je trie mes hypothèses et conclus qu’il doit exercer une profession intellectuelle qui exige suffisamment de sérieux pour devoir soigner son apparence mais pas assez pour devoir mettre un costume. Probablement un juriste ou un professeur de lycée. 

La file avance progressivement et je sors. Dans la rue le jeune homme marche devant moi et je continue de l’examiner. 

S’il avait été dans l’informatique il aurait eu une tenue bien plus décontractée et s’il avait été dans la finance une bien plus habillée. Ce ne doit pas être un métier avec un uniforme, il n’aurait pas fait l’effort de s’apprêter, ses cheveux indiquent clairement qu’il n’est pas de nature à se tirer à quatre épingles sans raison.

Je réalise que depuis plusieurs minutes nous marchons dans la même direction. Dans quelle entreprise ou structure des environs pourrait-il travailler ? 

Je le vois finalement entrer dans la faculté. Je reste interloquée. 

Un professeur d’université ? Il semble un peu trop jeune. Un doctorant ? L’accoutrement ne correspond pas à ce qu’on a l’habitude de croiser et en cinq ans je ne l’ai jamais vu ni à la bibliothèque ni à la cafétéria. Si c’était un nouveau bibliothécaire je l’aurais vu hier, s’il était dans l’administration il ne serait pas aussi bien habillé. 

Il prend un chemin opposé à celui du mien et j’hésite à le suivre pour savoir dans quel bâtiment il va.

Mon téléphone vibre alors et me tire de mes réflexions. Je lis le message de Justine :

« Coucou Juliette, j’ai glissé dans ma baignoire ce matin et je me suis cassé la jambe. Je suis aux urgences là, est ce que tu peux émarger pour Claire s’il te plaît ? Elle revient la semaine prochaine de Guadeloupe et je lui avais promis de le faire… »

Ma cible m’a échappé et ma culpabilité me rattrape, aidant ainsi ma décision.

« Ok. Pas de soucis. Bon rétablissement. »

Je range mon téléphone, reste avec mon mystère entier et me dépêche d’aller en cours.

Py.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant