Nous restons en silence quelques minutes. Mes oreilles bourdonnent et mon cœur bat à tout rompre.
Dans le bar, les gens boivent, parlent et rient. Ma vie a basculé mais la Terre continue de tourner. Françoise semble percevoir mon bouleversement.
- Je suis désolée. J'aurais aimé que tu apprennes tout ça dans d'autres circonstances mais je crois qu'il n'y en avait pas de meilleures.
Après une pause polie elle ajoute :
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de s'attarder ici. Le gérant est un ami, j'ai confiance en lui, mais n'importe qui peut entrer. Il ne faudrait pas que l'on soit vues ensemble. Je vais partir, il y a encore des choses que tu voudrais me demander ?
Ses révélations m'ont étourdie. Je recherche dans mon esprit les questions qui me hantent depuis des années mais les voilà subitement évaporées. Je finis par demander, sans vraiment réfléchir :
- Ma mère, elle était comment ?
Françoise sourit en douceur.
- C'était une femme magnifique. Belle par sa force d'une intensité que j'ai rarement rencontrée. Elle était déterminée à te protéger et t'aimait infiniment. Ses derniers mots ont été pour toi. « Dites-lui qu'elle aura été le soleil de ma vie, la lumière de mes jours et qu'elle est née d'amour et de liberté. ». Je suis navrée de n'avoir que cela à te transmettre, je crois qu'elle ne voulait qu'aucun objet ni lettre ne permette de remonter ta trace...
J'acquiesce en silence. Ma gorge est nouée et les larmes me sont montées aux yeux. Elle se lève et balaye la salle du regard pendant qu'elle fait voler son manteau sur ses épaules.
- Il y a deux garçons là-bas. Ils semblent t'avoir remarquée mais je ne crois pas qu'ils soient de l'Amphictyonie. Tu devrais t'installer avec eux et attendre un peu avant de partir. Je pense qu'ils ne refuseront pas ta compagnie. Comme je suis probablement surveillée depuis ma sortie de la maternité, il ne faudrait pas qu'on te voie quitter le bar avec moi, ni qu'on te retrouve seule à une table après mon départ.
Elle boutonne son vêtement et me sourit d'un air malicieux.
- Tu as de la chance, ils sont plutôt beaux garçons.
Je souris tristement. Cette femme convaincue qu'elle va mourir dans quelques heures continue de penser aux autres tout en gardant sa bonne humeur. Je ne comprends ni ses motivations ni l'origine de sa force.
- Pourquoi vous faites ça ?
Elle hausse les épaules.
- Je me le demande moi-même. Pourquoi j'ai gardé le secret de ta mère, pourquoi je t'ai attendue toutes ces années, pourquoi j'ai consacré ma vie aux autres ? Parfois je me dis que c'est la moindre des choses que je puisse faire lorsque je rencontre de courageuses âmes qui luttent, qu'il faut bien que je donne un sens à mon existence, mais dans le fond je sais que c'est bien moins rationnel. La vocation, je crois que ça s'appelle. Ce n'est pas quelque chose que l'on choisit.
Je médite ses paroles pendant qu'elle part régler sa note au comptoir. Elle échange quelques mots complices avec le gérant et me jette un clin d'œil avant de rejoindre la nuit.
Aussitôt partie, Léo saute de son tabouret et me rejoint.
- Alors ?! Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?!
Je reste muette, encore noyée dans mes pensées, submergée par la vague de révélations qui vient de déferler sur moi. Il me saisit à l'épaule pour me secouer.
- Py ! Oh ! T'es là ?!
Je cligne enfin des yeux et ceux-ci tentent de s'accommoder à la réalité. Un frisson me parcourt l'échine et j'agrippe le bras de mon ami.
- Lélé ! Faut que tu arrêtes ! Tu ne peux plus m'appeler comme ça !
- Comment ? Py ? Pourquoi ? Et, je vais t'appeler comment sinon ?
- Arrête je te dis ! C'est dangereux !
Ryu pose une pinte de bière blanche devant moi et tire une chaise avant de s'installer à mes côtés. C'est exactement ce qu'il me faut à cet instant précis. Je porte le verre à mes lèvres et une tranche de citron flottant dans la mousse vient à ma rencontre. Je ferme les yeux et me laisse porter par la fraîcheur du breuvage pétillant.
- Merci, Ryu. J'en avais vraiment besoin.
Il hoche la tête, en assentiment à mon propos.
Nous restons en silence quelques minutes. Je bois à petites gorgées ma boisson et Léo m'assaille de regards interrogateurs. Ryu comprend que notre discussion ne peut être ni différée ni poursuivie en sa présence, il souffle discrètement, se lève et enfile sa veste, un bomber sombre brodé aux motifs de carpes dans le dos.
- Je ne sais pas dans quoi vous vous êtes encore fourrés mais faites attention. Juliette, si tu peux, je pense que c'est mieux que tu viennes à l'appart' quelques temps. Je vais rester à l'école pour les prochains jours, tu peux prendre ma chambre si tu veux.
Léo s'empresse de répondre.
- Je suis complètement d'accord. Tu viens à l'appart', ce n'est pas négociable. Par contre, merci Ryu pour la proposition mais on va faire comme d'habitude, Py dormira avec moi, elle a besoin d'un homme fort à ses côtés, tu peux garder ta chambre d'ado pour toi.
Sur la joue de Ryu un muscle tressaille. C'est la première fois que je le vois réagir de la sorte.
- En tous cas, elle n'a certainement pas besoin d'un clown. Sois un peu sérieux pour une fois, je ne crois pas qu'elle joue un jeu très drôle. Juliette, tu as mon numéro, tu m'appelles si tu as besoin de quoi que ce soit.
J'acquiesce et murmure un remerciement, gênée par la tension que je perçois entre les deux amis.
Il part en laissant derrière lui un Léo qui le singe, vexé.
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Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...