4. Bibliothèque

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Bon, il y avait sûrement mieux que d’évoquer une gastro soudaine pour justifier mon départ précipité mais l’excuse a l’avantage de faire passer subtilement mon message.

Je me rends à la bibliothèque. A cette heure-ci elle est quasiment vide. Mes pas résonnent sur le parquet et j’entends l’écho d’une petite toux étouffée.

Je choisis une place près de la fenêtre, dans un rayon de soleil. Je m’installe et commence à étudier tranquillement les cours auxquels je ne peux pas assister.

Je suis en plein milieu d’un chapitre sur la structure de la paramécie quand j’entends qu’on tire la chaise à côté de moi et que quelqu’un s’installe.

Au bout de quelques minutes je relève la tête, je me sens observée.
Et pour cause, Nathan me fixe, la tête posée sur ses mains, avec un petit sourire.

Je me replonge dans mon cours et lui lance :

« - Dégage

- Détends toi princesse, je viens juste te souhaiter la bonne année !

- Plus tu seras loin de moi, meilleure elle sera.

- Oh ! Tout de suite… Je parie que je t’ai manqué au moins un peu pendant les vacances.

- Autant que des punaises dans mon lit pour tout te dire.

- C’est une invitation ?

- A me foutre la paix ? Oui. »

Il me dévisage, je vois son regard s’arrêter sur ma bouche et il se mord la lèvre.

« - Tu sais que j’adore quand tu me parles comme ça ? J’espère que tu continueras quand tu seras dans mon lit mais j’ai peur que tu ne sois trop occupée à crier ou à me supplier de continuer ce que je te ferai »

Je lève les yeux au ciel en soupirant.

« - Sinon, ta copine va bien ? Vous avez fêté quoi ? Vos quatre ans en décembre c’est ça ? »

Son visage se transforme et il se rejette au fond de sa chaise.

« - Mêle-toi de ton cul.

- Tant que tu ne le fais pas pour moi, je veux bien. »

Un silence s’installe. Je me replonge dans mon cours.

Progressivement, Nathan se détend un peu. Il décroise ses bras, passe sa main dans ses cheveux blonds qu’il ébouriffe discrètement puis recoiffe, et après avoir cherché du regard ce que je devine être une proie, il sourit et jette un clin d’œil à quelqu’un.

Je me retourne et vois une jeune fille se détourner rapidement en rougissant. Probablement une élève de première année qui ne connaît pas encore le personnage.

C’est sûr que quand on le rencontre, avec sa carrure musclée, ses yeux noirs malicieux et son air de gendre idéal, il peut faire tourner des têtes.

Satisfait de lui, il se penche à nouveau vers moi et reprend la conversation.

« - Bon, sinon, t’as passé de bonnes vacances ?

- Ouais, pas fait grand-chose, le boulot et réviser, comme d’hab’ »

Je réponds sans lever le nez de mon livre. Il reste silencieux. Je me tourne alors vers lui. Il a laissé tomber son masque de macho décérébré et semble un peu plus authentique.

Je soupire et le relance de mauvaise grâce.

« - Et toi ?

- Pas ouf en vrai. Mon père a pu prendre quelques jours à Noël et ma mère l’a appris au dernier moment. Je pense qu’elle avait prévu de voir son connard de mec. Ça l’a tendue de rester à la maison et de jouer les épouses parfaites. Au bout d’un jour j’ai cru qu’ils allaient s’entretuer, c’était le bordel… En fait j’ai surtout squatté chez Anastasia, sa famille avait organisé quelques jours dans leur maison de campagne pour les fêtes. Ils avaient tout décoré à l’américaine avec plein de guirlandes, de lumières et de trucs kitch. Sa mère faisait des biscuits, son père fumait sa pipe dans son fauteuil près de la cheminée et avec ses sœurs elles regardaient les trucs de mariage pour celui de la grande cet été. Un téléfilm de Noël quoi. C’était chiant mais pas prise de tête. Et ouais, on a fêté nos quatre ans. Elle avait réservé dans un hôtel de luxe en plain Paris, un truc de ouf avec un jacuzzi et du champagne, c’était cool.

- T’en as pas marre de faire le con avec elle ?

- J’y peux rien, c’est plus fort que moi… Je sais que je ne la mérite pas.

- Et tu ne penses pas que si tu consultais pour parler un peu de ce qu’il se passe avec tes parents ça pourrait t’aider ?

- Je vois pas le rapport. Je fais ce que je veux. Les meufs me kiffent et je leur rends bien. Je suis juste un mec généreux, je vous donne ce que vous voulez toutes.

- Toutes ? Pas moi en tous cas.

- Tu dis ça mais t’es comme toutes les autres, un jour tu seras dans mon lit et on verra qui a raison.

- Nathan, je ne suis pas ta mère...

- Putain mais ferme ta gueule ! Tu comprends rien toi en fait. Vas-y je me casse. »

Ça tombe bien, la bibliothèque a commencé à se remplir et notre conversation fait trop de bruit. Je vois des sourcils se froncer depuis quelques minutes.

Nathan se lève de sa chaise, balance son sac sur son épaule et part sans se retourner.
Quel petit con.
Je me dis que quitte à être sa psy je devrais lui faire payer ses séances. Je soupire, encore, et me remets au travail.

Il y a de plus en plus de monde à la bibliothèque, le silence s’épaissit, la température de la salle monte, on entend le bruit des feuilles qui se tournent, des chaises qui raclent le sol, des chuchotements et des surligneurs dont on fait sauter le bouchon.

Je suis absorbée par mon cours, je ne vois pas le temps passer. Mon estomac fait un bruit horriblement long et plaintif pour me faire comprendre qu’il est bientôt 13h.
Je rougis, gênée, en me tenant le ventre et lui intimant de se taire le temps que je finisse mon chapitre.

Il recommence quelques minutes après. J’entends quelques rires étouffés et mon voisin de table ma propose silencieusement sa barre de céréales. Je refuse poliment d’un geste de la main.
Je maudis mon estomac et enfile mon manteau.

Je laisse mes affaires, je sais que ça ne se fait pas mais sans ça je n’aurai pas de place à mon retour et j’ai déjà dû renoncer aux cours de la matinée.

Py.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant