Je l’observe se mouvoir agilement sur la toiture. Sous la cape lourde et fourrée les jeux de lumière provenant de la rue éclairent une jeune femme frêle. Elle porte une robe de mousseline ivoire au drapé élégant que le vent agite. Alors qu’elle resserre sa fourrure autour de son cou, j’aperçois à ses poignets de fins bracelets d’or s’entrechoquer. Ses pieds nus vont de tuile en tuile et je retiens un cri lorsque soudain l’une d’elle se détache pour aller s’écraser au sol dans un bruit d’argile brisée.
La jeune femme déséquilibrée lâche sa prise sur son col et le vent rejette sa capuche et sa cape en arrière, dévoilant de longs cheveux sombres ondulés et une tenue vaporeuse. La robe plaquée contre sa peau dessine un ventre rond qu’une de ses mains vient aussitôt protéger maternellement. Sur son visage aux traits fins j’arrive à distinguer un air paniqué qui se transforme tout à coup en crispation douloureuse. La jeune femme à la peau brune tombe à genoux, le souffle coupé, tout en se tenant le ventre et je devine qu’elle est sur le point d’accoucher. La contraction passée, je la vois reprendre sa course. Elle est à quelques mètres de la rue lorsqu’une autre se déclenche. Sur les tuiles à ses pieds se reflète soudain la lune. Un liquide clair s’écoule sous elle et me décide à agir.
Je compose le 15 sur le téléphone à touches et alerte aussitôt :
« - Rue Napoléon, en face du 5 bis, une femme sur un toit est en train d’accoucher ! »
Le régulateur, bien plus calme que moi me demande d’expliquer la situation ce que je fais du mieux que je peux. Enfin, il prend note de mon identité - que j’ai la lucidité de modifier pour ne pas mettre Grzegorz ni Wit dans l’embarras - et m’indique qu’une équipe de secours est en chemin.
Je regarde la jeune femme descendre la gouttière fixée à la façade et retiens mon souffle, espérant qu’aucune contraction ne lui fasse lâcher prise. Elle touche le sol au moment où les gyrophares entrent dans la rue et s’écroule.
Partagée entre ma curiosité et mon devoir de discrétion, je descends rapidement quelques échelles et m’installe sur une plateforme plus basse pour regarde la scène cachée derrière des pans de plastique.
Trois personnes en chasuble blanche sortent à la hâte d'un véhicule médical et se précipitent vers la jeune femme qui gémit à quatre pattes.
L'un d'eux s'accroupit à ses côtés et pose une main sur son dos.
« - Madame, c'est le SAMU, on vient pour vous aider. On nous a dit que vous étiez en train d'accoucher, vous êtes à quel terme ? »
Essoufflée et en sueur, elle tourne un visage étonnamment calme et ferme vers l'homme et se redresse en repoussant sa main.
« - Ne me touchez pas. Je vais m'occuper de ça toute seule. Vous pouvez repartir. »
L'homme est d'abord interloqué puis insiste.
« - Voyons Madame, on ne va pas vous laisser dans cet état. Venez vite vous installer dans le camion, vous serez plus confortable et on pourra vous accompagner à la maternité la plus proche. »
Tout en essayant de la convaincre il fait signe à l'un de ses collègues de s'approcher.
A son visage juvénile je devine qu'il s'agit d'un étudiant.
« - Scope la et note l'heure des contractions. »
Il a à peine posé le brassard à tension que la femme se relève. Elle se dégage d'eux fièrement et porte ses mains à son ventre, plaquant la mousseline claire sur son corps.
« - Vous ne m'avez pas entendue ? Partez. »
Elle jette au sol le brassard quand une nouvelle contraction la saisit la faisant tomber à genoux. Celui que je devine être le médecin, toujours accroupi, se penche vers elle.
« - Madame, il va falloir aller à l’hôpital maintenant, ma collègue va vous mettre une perfusion. » puis s’adressant à la personne en question « - Isa, pose-lui une voie, on l'embarque. Ça fait pas deux minutes depuis la dernière contraction, si on part pas tout de suite elle va accoucher dans la rue. »
Un petit bruit sec attire mon attention vers le véhicule de secours. Le dernier membre de l’équipe, un jeune homme tatoué en tee-shirt sous sa chasuble, vient de sortir un brancard. Le médecin le désigne du menton et explique.
« - Mon collègue ambulancier va vous approcher un brancard et le baisser pour que vous puissiez y monter. Vous pensez y arriver ? »
Ce dernier s’approche puis ajuste le lit au niveau de la jeune femme. Il la saisit ensuite sous le bras pour l’aider à s’installer mais, retrouvant son souffle et sa mobilité, elle le rejette violemment. L’ambulancier, surpris, raffermit instinctivement sa prise et la situation dégénère. La femme hurle et commence à se débattre.
« - Lâchez moi ! Ne me touchez pas ! Je suis une Pythie, vous n'avez pas le droit ! J'en referrerai aux Hiéromnémons, vous serez exécutés. »
Un frisson me parcourt. Une Pythie ? Ce que dit la jeune femme n'a pas de sens.
L'ambulancier essaye de la contenir mais elle s'agite et lui griffe le visage de ses ongles parfaitement manucurés.
Le médecin se tourne vers l'infirmière et commande.
« - Bon. Fais comme on avait dit. Prépare le traitement. »
Pendant qu'elle s’active je l’entends s’entretenir avec son étudiant.
« - Comment tu savais que c’était psy ? » lui demande-t-il.
Il hausse les épaules.
« - Je suis pas devin ni fin clinicien mais quand on m’a dit que c’était une femme enceinte qui courait pieds nus sur un toit déguisée en déesse grecque avec une peau de loup ça m’a mis la puce à l’oreille… »
La discussion n’a pas le temps de se poursuivre, l’infirmière annonce :
« - C’est prêt. Je vais avoir besoin d’un coup de main. »
Tous s'organisent pour l'administration du traitement mais la jeune femme épuisée et endurant une nouvelle contraction lâche prise et l'équipe en profite pour la saisir et la conduire dans le véhicule.
Je ne peux alors plus voir ce qu'il se passe mais devine que la femme et les soignants ont dû trouver une entente. A travers le petit hublot de l'ambulance je la vois allongée sur un brancard tordue de douleur donner la main à l'infirmière qui lui écarte ses cheveux collés à son front humide.
L'ambulancier et le médecin sortent en claquant la porte et s'installent sur la banquette avant du fourgon qui démarre en trombe.
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Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...