Je n'ai pas le temps de me décider entre le confort du prétexte qui m'est offert et l'envie de dissiper ce malentendu qui chatouille mon ego, que Claire s'assied à côté de moi et demande, avide de bavardage :
- Vous parlez de quoi les filles ? Il s'est passé un truc ?
Sa peau brune a pris des reflets dorés et ses cheveux, tressés plus finement qu'avant les congés, se sont parés de mèches blanches.
- Oh my God Claire ! Mais, t'es trop belle comme ça ! Ça te va hyper bien ! lance aussitôt Justine.
Claire fait glisser quelques nattes entre ses doigts pour mieux les exposer.
- Tu trouves ? J'hésitais avec du blond...
- Ah mais non ! Surtout pas ! Ça donne un côté bad girl, j'adore !
Coincée entre les deux filles, j'assiste à leurs dissertations cosmétiques avec un plaisir naïf. Ce bonheur simple est nouveau pour moi et je le découvre avec amusement.
Après avoir conclu qu'une sortie samedi soir s'imposait pour évaluer objectivement le potentiel de séduction des nouveaux atours de Claire, Justine reprend le fil de la discussion initiale.
- Bon, assez parlé de ça. Il faut que je vous raconte ce qu'il s'est passé !
Elle s'éclaircit la gorge, recoiffe son carré toujours impeccable et entame son récit :
- La semaine dernière, quand je suis tombée dans la douche, j'avais tellement mal que c'était impossible pour moi de bouger. Heureusement, j'avais laissé mon portable pas trop loin et j'ai pu appeler avec la commande vocale. Evidemment, le numéro que j'avais mis en contact d'urgence c'était celui d'Arthur...
Claire retient de justesse un cri d'effroi. Je me souviens alors que Justine avait évoqué lors de notre dernière discussion une rupture récente. Elle prend un air catastrophé et continue.
- Ouais, je sais, la poisse de fou... Bref. J'étais pas vraiment en position de pouvoir choisir, d'autant qu'il était le seul à avoir le double des clés de chez moi, donc je lui ai demandé de venir m'aider. Il est arrivé super vite et m'a emmenée aux urgences. On a passé la journée ensemble là-bas, à discuter, et je ne sais pas si c'est le choc de m'avoir vue en danger, d'avoir eu la chance de revoir mon corps ou d'avoir pu repasser du temps tous les deux, mais depuis ce jour là il n'arrête pas de m'appeler, de prendre des nouvelles et de me proposer qu'on aille prendre un verre. Le problème c'est que moi je suis passée à autre chose ! Antoine et moi je sens que ça peut devenir un truc vraiment sérieux.
Claire fronce les sourcils et demande :
- Le mec que t'avais rencontré à la soirée d'Emma ? Je croyais que ça avait été tendu après que vous vous soyez embrassés...
Justine explique en soupirant :
- Oui, bon, ça a pas été simple. En fait il m'a expliqué qu'il sortait d'une relation hyper intense et qu'il avait peur de souffrir à nouveau. Il dit qu'il est pas prêt à s'engager et qu'il voudrait quelque chose sans prise de tête. Moi c'est exactement ce que je lui propose – pour commencer bien sûr – mais il hésite, il sait pas s'il veut qu'on se revoie... Je comprends après, c'est vrai que quand on me connait on a du mal à ne pas s'attacher, mais je pense qu'on est faits pour être ensemble.
- Ah ouais, okay... siffle Claire. Pas facile effectivement... Qu'est-ce que...
Elle est interrompue par une remarque qui dénote la prosodie du professeur :
- Tout va bien mesdemoiselles ? Je ne vous dérange pas ? Il vous faudrait peut-être du thé ou des petits gâteaux ?
Les deux filles se raidissent en rougissant et il reprend son cours. Claire se penche vers moi et murmure du bout des lèvres :
- Quel rabat-joie celui-là...
Justine renchérit :
- Avec lui, le seul qui doit se marrer c'est son coiffeur !
Je souris à l'idée que les trois cheveux sur la tête du professeur en intriguent d'autre que moi.
- Vous pensez qu'il lui fait payer le tarif « mi-long » ? je demande.
Justine et Claire pouffent et ne peuvent pas retenir leur rire qui me contamine aussitôt.
C'est les larmes aux yeux et cherchant notre souffle que nous sortons, exclues du cours.
*
- Je savais pas que t'étais une rigolote comme ça toi ! me lance Claire.
Assises dans les vieux canapés du bureau des étudiants nous attendons le début du cours suivant.
Je prends une gorgée de mon café avant de répondre.
- J'ai mes petits secrets on va dire.
- Comment ça ? Pas de secrets entre nous ! Regarde Justine, tu crois qu'elle garde des trucs pour elle ? Certainement pas ! Et crois-moi, parfois on préfèrerait !
Justine lui jette un regard méprisant par-dessus le miroir de poche dont elle se sert pour retoucher son rouge à lèvres.
- Ca va, tu sais que je rigole. J'adore quand tu me racontes tes histoires ! Du coup, vu qu'on s'est faites virer, est ce qu'on n'en profiterait pas pour analyser ta situation ?
Justine s'illumine.
- Alors ça, oui ! Parce que je ne vous ai pas tout raconté !
Elle fait alors claquer son miroir qu'elle range dans son sac et prend position pour poursuivre son histoire dans les meilleures conditions.
D'abord assise dans le canapé, elle finit par se lever, emportée par la fougue de son récit.
De péripétie en péripétie nous découvrons que l'ancienne petite amie d'Antoine n'est autre qu'Ines, la jeune fille qui accompagnait Arthur à la soirée d'Halloween. Justine, dévastée par cette information, nous révèle alors son désir de protection pour l'homme qui aurait été cruellement blessé, refusant d'y voir une quelconque rivalité avec la femme qui tournerait actuellement autour de son ex. Le retour d'Arthur vers elle ne serait d'ailleurs que bon sens, et son refus de poursuivre leur relation qu'une limite à sa générosité.
Dans la salle aux murs décrépis et aux rideaux poussiéreux, nos cerveaux s'activent à l'étude du sujet. La position de Justine est débattue, ses réactions sont discutées, certaines actions sont votées.
Lorsque la sonnerie retentit nous nous accordons une pause afin de renouveler nos boissons, la gorge asséchée par notre colloque, puis poursuivons notre travail acharné.
La matinée passe sans que je ne m'en aperçoive, dans une légèreté qui m'était jusqu'alors inconnue. Je réalise que nous avons manqué tous les cours et qu'il est l'heure d'aller déjeuner lorsque je reçois un message de Léo.
« Tu arrives bientôt ? Ta pizza est prête. »
Je m'apprête à répondre lorsque Claire me demande tout naturellement :
- T'as pris un truc à manger ou tu viens à la boulangerie avec nous ?
J'hésite une seconde avant de ranger mon téléphone dans ma poche.
- Je viens avec vous.
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Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...