- Allez les filles ! On se dépêche !
D'une voix haut perchée, une courgette à la chevelure peroxydée fait signe à ses amies de la suivre. Sur le quai de gare, elle tire une lourde valise aux motifs de l'Union Jack. Un petit groupe de courges, se presse alors, pouffant et trottinant. Leurs bagages qui roulent au sol livrent un chant léger de précipitation vers le bonheur.
Installées dans le train, elles défont aussitôt leurs sacs à mains qui débordent rapidement sur les tables pliables. Leur joyeuse petite bande occupe un carré de voyageurs mais leurs voix emplissent tout le wagon.
- Je peux essayer ton rouge à lèvres ? Je suis sûre qu'il irait super bien avec ma robe !
- Merde... Je retrouve pas mes lunettes de soleil ! Purée, mais c'est pas possible ! C'est un vrai bazar ce sac !
- Attends, on est sûres qu'il va venir à la soirée ? Mais tu vas mettre la rose du coup ?
- Les filles ! Quelqu'un a du déo à me prêter ?
Dans le brouhaha les échanges fusent et les courgettes rient.
Allongée sur un divan non loin d'elles, je rouspète :
- Impossible de se concentrer avec leur chahut, je ne vais jamais pouvoir travailler avec ce bruit !
Hyacinthe, assis en face de moi, pose une main sur mon genou.
- Détendez-vous Juliette. Vous n'avez pas choisi comment faire ce voyage mais vous arriverez à destination.
Je me tortille pour trouver une position confortable et ferme les yeux. Le bruit s'estompe alors progressivement. Il ne reste bientôt plus que le roulis du train qui résonne et me berce. Au bout d'un moment, je soulève mes paupières lasses et aperçois dans l'allée centrale, Ryu qui se dirige vers moi.
Il marche d'un pas ferme et assuré malgré les cahots. Derrière lui, Léo court, goguenard, une marmite fumante entre les mains.
L'impact est inévitable.
J'hurle pour avertir, mais Ryu, stoïque, ne se retourne pas. Léo s'écrase alors contre lui et éclabousse son dos de liquide bouillant.
J'ouvre les yeux, paniquée, mais me ressaisis aussitôt.
Je laisse Léo qui dort à poings fermés et me précipita dans la cuisine.
Lorsque j'arrive, Ryu est à mi-chemin entre la table et la cuisinière. Je crie :
- Stop ! Ne bouge plus !
Il s'immobilise aussitôt et m'interroge du regard. J'examine la situation. Derrière lui, de l'eau bout dans une casserole. Le manche est à quelques centimètre de lui et le moindre faux mouvement pourrait conduire à la catastrophe. Pour le moment, il semble encore indemne de toute blessure récente.
Je respire, réalisant soudain que mon souffle avait été suspendu. Pour la première fois de ma vie, mes rêves vont apporter quelque chose de positif. Il me suffit de retirer la casserole du feu pour éviter à Ryu une vilaine blessure. Je me mets à rire nerveusement. J'aurais pu venir en aide à tellement de personnes si j'avais maîtrisé mon don plus tôt.
Prenant mon rire pour une autorisation à reprendre le cours de ses activités, Ryu avance d'un pas. Sous son pied, un morceau de courgette l'envoie alors valser et il atterrit contre le manche de la casserole qui se renverse sur lui.
Je porte les mains à ma bouche pour étouffer un cri. Ryu quant à lui contient son émotion et avec sang-froid retire son tee-shirt d'un geste. Il tourne sa tête de droite à gauche, les mains dans le dos, cherchant vainement à évaluer la situation.
Je reprends mes esprits et accours vers lui.
- Ryu ! Ça va ? Assieds-toi ! Je vais regarder.
Il tourne alors son visage vers moi et récupère vivement son haut qu'il plaque contre son torse.
- Je vais aller voir ça dans la salle de bain. Y'a un miroir.
Je tire une chaise et l'y pousse.
- Tu vas rien voir et tu vas perdre du temps ! Montre-moi.
Il se laisse tomber sur la chaise et après un bref temps de réflexion pivote pour s'y assoir à califourchon, le menton enfoui dans ses bras croisés sur le dossier.
Sur son dos, une large tâche commence à se révéler. Je retiens un juron devant l'étendue de la brûlure.
- Va vite sous la douche faire couler de l'eau tiède, je vais appeler pour savoir quoi faire.
Il hoche la tête, se relève et part mettre en application mes instructions.
Au téléphone, une infirmière des urgences m'interroge avant de conclure qu'il vaut mieux qu'un médecin évalue la plaie. Je la remercie et vais informer Ryu.
Il est encore sous la douche lorsque je toque à la porte de la salle de bains. Je pose la main sur le bois et approche mon visage.
- Ryu, il va falloir qu'on aille à l'hosto, ta brûlure est trop grande.
Le bruit de l'eau qui coule s'arrête soudainement et j'entends les anneaux du rideau de douche tiré tinter.
- Ok, j'enfile un truc et j'arrive.
Je pince mes lèvres avant d'ajouter :
- Ne mets pas de haut, je vais regarder. L'infirmière m'a dit comment faire pour le trajet.
Il ouvre la porte, torse nu et passe ses doigts dans ses cheveux mouillés. Ses muscles se dessinent lors du mouvement et je rougis.
- Tourne toi.
Il s'exécute et je découvre son dos meurtri. Les rougeurs ont cédé leur place à des cloques et sous les lambeaux de chair de celles qui sont rompues, la peau est à vif.
- Mon Dieu... Ryu...
- Qu'est ce qu'il faut faire alors ? demande-t-il impassible.
Je soupire.
- Je vais sécher ça en limitant les dégâts et tu mettras un tee-shirt propre ample. On file aux urgences, c'est vraiment pas beau...
Je tamponne doucement sa peau avant qu'il ne parte s'habiller. Pendant qu'il se prépare, j'en profite pour aller voir Léo.
Il dort comme un loir. Il est bien trop tôt pour lui. Je lève les yeux au ciel pour moi-même. Il est, de toutes façons, toujours trop tôt pour Léo. Je saisis quelques affaires dans le tiroir et repars de la chambre.
Ryu est dans le salon, déjà prêt.
- Donne-moi deux minutes, j'arrive.
- Tu n'es pas obligée de venir tu sais. Je peux me débrouiller.
Je m'arrête un instant et plonge mon regard dans le sien.
- Ca te dérange ?
- Non.
- Alors je viens.
Il hoche la tête et je file dans la salle de bains. J'enfile ma tenue sans me doucher puis jette un coup d'œil au miroir. Mes cheveux sont en pagaille. Je les rassemble en queue de cheval et relâche coquettement une petite mèche sur la tempe. La raison de ce dernier geste m'échappe mais je n'ai pas le temps de creuser la question.
Je sors et note un mot pour Léo que je laisse sur la table de la cuisine puis nous partons avec Ryu.
VOUS LISEZ
Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...