- Bon, tu veux que je te raconte alors ?
Léo arrête derechef ses grimaces pour m'écouter. Je lui livre le récit que m'a fait Françoise aussi fidèlement que possible. Certains termes que j'entendais pour la première fois m'échappent cependant.
- Des Hiéromnémons et des Pylagores ?
- Oui ! C'est ça ! Comment tu sais ?
L'étendue des connaissances de Léo me surprend toujours, tout autant que son hétérogénéité.
- C'est ce qu'il y a de marqué sur internet.
Il me montre son téléphone et ma surprise disparait. Je le lui chipe et lis l'article concernant l'Amphictyonie de Delphes. Les informations que j'y trouve corroborent les propos de Françoise.
- Non mais attends, c'est incroyable. Comment j'ai pu ne jamais en entendre parler ?
Léo hausse les épaules et récupère son portable.
- Parce que c'est une organisation secrète peut être ?
La remarque ironique de Léo me rappelle l'influence et la puissance alléguées par Françoise.
- Si c'est vrai, c'est une catastrophe. Ça voudrait dire que je suis recherchée, que je vais devoir vivre dans l'ombre, toujours sur le qui-vive, sans vraiment maîtriser mon don et avec sur la conscience la séquestration de plusieurs femmes pour lesquelles je ne peux rien faire. Je voulais comprendre ce que je suis pour mieux vivre avec. Mais vivre quand même !
- T'en fais pas, on va aller les chercher ces filles. Et tu vas pouvoir vivre librement !
Je fixe Léo un temps avant de lui répondre.
- Mais ça va pas non ? Tu t'es cru dans le club des cinq ? Tu m'as pas entendue tout à l'heure quand je te disais combien de personnes ont été tuées dans cette histoire ? On va rien faire du tout, je vais me cacher bien sagement et essayer de survivre en me taisant !
Je vois Léo compter sur ses doigts avec difficulté.
- Qu'est ce que tu fous ?
Il relève la tête et me répond en me montrant sa main à demi fermée.
- C'est vrai que ça va être compliqué. Toi et moi ça fait deux, avec Ryu et Milo au mieux on peut faire le club des quatre ...
Je lève les yeux au ciel et il se recule sur sa chaise paumes face à moi.
- Après, si tu me laisses agir seul, je peux être Fantômette !
- Lélé putain, un peu de sérieux quoi ! C'est pas le moment de rigoler là. Tu comprends que je suis en danger ?
- Allez, détends toi un peu Py. C'est pas la peine de t'inquiéter, je suis là pour te protéger !
Je secoue la tête, dépitée, pendant qu'il embrasse son biceps. La bonne humeur à toute épreuve de Léo peut parfois être agaçante. J'ai l'impression qu'il ne perçoit pas l'intensité de ma détresse. Je finis d'un trait mon verre, le repose et me lève.
- Allez, viens, on rentre.
*
Allongée dans le lit, aux côtés de Léo, je fixe le plafond. Les heures tournent tandis que je me répète les propos de Françoise. Tout me semble à la fois invraisemblable et évident.
L'abandon de ma mère est enfin acceptable, tout comme le contenu et la réalisation de mes rêves. Je me sens libérée d'un énorme poids bien que le fardeau soit toujours présent.
Une envie terrible de rencontrer mes sœurs m'envahit mais aussitôt la mise en garde de Françoise me revient.
Mes désirs et ma raison négocient une bonne partie de la nuit. Les révélations qui m'ont été faites ne peuvent qu'être subjectives et partielles. Françoise elle-même a reconnu que ses informations n'étaient que limitées. Peut-être que ce lieu qui existe pour moi est un Eden à retrouver, un endroit où je ne serais pas différente des autres mais juste à ma place.
Les larmes me montent aux yeux. Vivre paisiblement serait si doux. Mais à quel prix ?
Je disserte avec moi-même et finis par me réfugier naïvement sur mon téléphone en quête de réponses que je sais qu'aucun moteur de recherche ne pourra trouver.
De site en site, mes fouilles restent stériles. Je ne mets à jour aucune organisation secrète ni aucune trace des Pythies telles qu'elles m'ont été décrites. Les données concernant Apollon, son origine, son culte, ses oracles sont tout aussi floues que celles à propos de l'Amphictyonie et son devenir.
Je note une présence de ce dieu ou de ses assimilés dans plusieurs cultures et ce caractère universel donne une forme de crédit à cette divinité antique que ma pensée avait reléguée au rang de personnage de contes pour enfants.
La présence et l'influence de la France s'inscrivent en filigrane dans l'Histoire de ce culte. Discrètes par moment sous forme de société archéologique ou exubérantes au XVIIe siècle avec un Louis XIV posant couvert de lauriers et tirant le char du soleil, elles semblent traverser le temps. Rien n'indique cependant clairement qu'une organisation spécifique perdure aujourd'hui.
Il est presque six heures du matin lorsque je laisse tomber mon téléphone dans un soupir d'épuisement et de déception. Ma position inconfortable a engourdi mes bras et mes yeux secs me piquent. Je les frotte et m'étire. Il est bien trop tard pour espérer dormir un peu avant le début de la journée.
A côté de moi, Léo dort paisiblement. Quand je tente de me lever il enroule son bras à ma taille et me tire contre lui. Sa main chaude et réconfortante passe sous mon tee-shirt et se pose sur ma peau. Je ferme les paupières un instant, bouillante jusqu'aux oreilles. Son souffle dans mon cou m'apaise et chasse en quelques secondes tout tracas de mon esprit. Tout est si simple avec lui.
La réalité me rattrape rapidement et je me dégage de notre étreinte pour sortir du lit. La simplicité de Léo est douce mais naïve. Ma situation actuelle ne me permet pas de la partager.
Sans enfiler de pantalon mais prenant le temps de glisser mes pieds dans des chaussons, je quitte la chambre en silence et rejoins la cuisine.
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Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...