13. Lit

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Essoufflée par mon ascension je frappe à la porte. Léo m’ouvre aussitôt. Il est en caleçon et débardeur, aux motifs d’un jeu vidéo de notre enfance.

« - Ton ascenseur… est encore en panne… Je le déteste… »

Il me fait signe de passer et rit.

« - Arrête ton cinéma, c’est bon pour la santé de faire du sport ! »

Je le fusille du regard et plaque sur son torse la bouteille de jus de pamplemousse.

« - Tiens. Même si à la réflexion, tu ne le mérites pas tant que ça. »

Je jette mon sac au sol et progresse dans le petit appartement. Je cherche son colocataire du regard.

« - Ryu n’est pas là ?

- Non, c’est la piscine en ce moment dans son école

- Le truc de barbare où tu codes jour et nuit ? Mais c’est pas qu’en première année ?

- Si, mais là il vient aider les petits nouveaux. De ce qu’il m’a dit c’est moins dur mais ça reste de gros horaires, je pense qu’il va rester sur place ce soir.

- On fait quoi du coup ? On va pas regarder la suite sans lui… »

Léo fait la moue. Je réplique :

« - Non, franchement ça se fait pas. Tant pis, on a qu’à commencer une autre série qu’on regardera quand il sera pas là. »

Léo me tend l’ordinateur.

« - Allez, je te laisse choisir pendant que moi je commande. Jap, ça te dit ?

-Parfait. »

Notre organisation parfaitement huilée nous permet de nous retrouver rapidement au chaud sur le canapé, sous un plaid, à regarder un classique de notre adolescence, tout en dévorant nos sushis.
Nous connaissons les répliques par cœur et les récitons à l’unisson en riant.

Je prends ma baguette dans la main et lance d’une voix rauque, le menton enfoncé dans mon cou :

« - Couhillère ! »

Léo me regarde en souriant.

« - Qu’est ce qu’il y a ?

- Rien. Ca faisait longtemps que je ne t’avais pas vue rire comme ça. Ca fait du bien. »

Je me rejette en arrière dans le canapé.

« - Je ne devrais pas pourtant… J’ai encore fait une connerie et Justine s’est cassé la jambe…

- Qu’est ce qu’il s’est passé ? »

Je m’apprête à raconter mon rêve puis me ravise, il y a trop de détails que je ne veux pas partager.

« - Laisse tomber, j’ai pas envie d’en parler.

- Pourtant d’habitude j’ai l’impression que ça te fait du bien qu’on en discute.

- C’est vrai, mais pas là. »

Il me regarde, l’air suspicieux.

« - Non mais c’est juste que c’est un travail énorme de m’écouter et de m’aider à gérer ma culpabilité. J’ai pas envie que tu portes tout ça. Je voudrais que tu sois mon ami, pas mon psy.

- Et tu voudrais pas voir quelqu’un justement ?

- Arrête, tu sais très bien ce que ça a donné.

- Oui, enfin c’était y’a longtemps, t’étais une gamine, les choses ont peut être changé depuis ?

- Admettons. Je fais quoi ? Je vais à la consultation et j’annonce que les blessures dont je rêve se réalisent. Cent pour cent je finis en hôpital psychiatrique. Ca sert à rien, ça ne va pas m’aider.

- C’est pas toi qui disais au sujet de Nathan que le problème c’était pas le fait qu’il trompe sa meuf mais ce qu’il se passait depuis toujours dans sa famille ?

- Oui, et alors ?

- Bin si ça se trouve ton problème ne vient pas que de tes rêves. Peut être que tu n’es pas obligée d’en parler et que ça te fera quand même du bien de voir quelqu’un. »

Je ne réponds pas. Je vois où il veut en venir. Ce n’est pas si absurde. Je pourrais essayer.

Nous nous replongeons en silence dans notre visionnage mais l’ambiance n’est plus la même. J’ai l’esprit occupé à ruminer ce que l’on vient de se dire. Au bout de quelques minutes Léo met la série en pause.

« - Tu veux qu’on arrête ? »

J’acquiesce.

« - Il est tard et j’ai cours demain. Faut que je rentre. »

Débarrassée du plaid, je fais un mouvement pour me lever mais Léo me retient par la taille et me tire à lui dans le canapé.

« - Reste dormir s’il te plait… »

Je réfléchis rapidement. Je n’ai aucun impératif à rentrer chez moi. Milo est libre d’aller et venir comme il l’entend et j’ai vu hier que ses cachettes étaient bien fournies. Chez les garçons il y a toujours ma trousse de toilette, mon pyjama et quelques affaires de rechange. Pourquoi pas.

« - Allez, d’accord, comme ça tu seras à l’heure demain. »

Je relâche ma résistance et me laisse tomber dans ses bras. Il m’enlace et met sa tête dans mon cou.

« - Trop bien, j’irai nous chercher des croissants. »

Les choses deviennent plus détendues tandis que nous nous préparons pour le coucher. Dans la salle de bain Léo me singe en train de me démaquiller et je lui mets un peu de ma crème sur le nez en guise de vengeance. Il part se doucher en râlant, arguant qu’il risque désormais d’avoir la peau douce et qu’il déteste cela.

Je m’installe dans le lit et parcours une bande dessinée en l’attendant. L’eau s’arrête enfin de couler et il sort en sous-vêtements de la salle de bain.

Je fais mine de ne pas le voir pendant qu’il se met en pyjama. Ce n’est pas la première fois qu’il le fait sans souci de mon regard mais je ne veux pas ajouter à la confusion qui m’habite actuellement.
Il se glisse auprès de moi dans le lit et je réalise qu’il aurait été bien moins perturbant pour moi de le voir torse nu.

Léo éteint la lumière et me prend dans ses bras. Collés l’un à l’autre dans l’obscurité je réalise que si c’est notre habitude de dormir ensemble pour des raisons pratiques, ce soir le lit de Ryu était disponible…

Py.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant