22. Pelle

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« - Comme je fais tout ce que tu veux aujourd’hui c’est vraiment nécessaire le gage pour le retard ? » me demande Léo tout en enclenchant le mécanisme qui fait se lever le rideau de fer.

« - Absolument. Et j’ai trouvé de quoi te donner une bonne leçon. A partir de maintenant et jusqu’à la fermeture, tu devras imiter le bruit d’un réveil à chaque fois qu’un client rentre et n’arrêter qu’après qu’il t’aura adressé la parole. Evidemment s’il y a plusieurs personnes tu dois continuer jusqu’à ce que toutes t’aient parlé.

- Oh non, Py, je t’en supplie, je vais me ridiculiser…

- Très bien, comme ça tu y penseras à deux fois avant d’ignorer ton réveil. »

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et me glisse sous le volet métallique partiellement remonté. Tout en me dirigeant vers l’arrière cuisine je l’entends qui rouspète. Sa plainte continue encore quand j’ai fini de me changer, d’attacher mes cheveux et de passer un tablier.

« - Arrête de râler et viens m’expliquer comment ça fonctionne, on n’a pas le temps pour tes jérémiades ce matin. »

Léo me rejoint en ronchonnant. Je l’arrête d’une main posée sur son torse.

« - Je te rappelle que je suis la reine aujourd’hui, alors silence serviteur et apprenez-moi à faire des pizzas ! »

Léo soupire en souriant et dans un mouvement vif et agile me soulève par la taille avant de me basculer sur son épaule

« - A vos ordres Majesté. »

Un seul de ses bras passé sous mes fesses suffit à me porter. Surprise, je m’écarte de lui pour reprendre mon souffle mais suis déséquilibrée et manque de chuter. Léo me rattrape d’une main sur ma hanche et d’une pression me bascule à nouveau sur lui.

« - Voyons ma reine, laissez votre fidèle serviteur vous amener à vos nobles quartiers. »

Incapable de résister j’abandonne ma lutte mais la main de Léo reste fermement posée sur moi et sa chaleur m’incendie.

Mon cœur s’accélère dans ma poitrine et dans nos corps réunis je l’entends tambouriner. Il me semble qu’il répond à celui de Léo.

Quelques pas suffisent à atteindre la cuisine. Les mains de Léo dessinent ma silhouette des genoux à la taille avant de me saisir et de me poser comme une poupée au sol.

Confuse, je m’époussette et tire sur mes vêtements en maugréant ostensiblement pendant que mon binôme allume le four et commence à sortir les bacs d’aliments du réfrigérateur tout en m’expliquant les tâches que j’aurai à réaliser.

Encore assourdies par mon cœur mes oreilles ne perçoivent rien et j’acquiesce bêtement durant une dizaine de minutes avant que Léo ne s’en aille et que je ne retrouve mes esprits.

Nous avons à peine le temps de faire le ménage de la pizzeria et la découpe des ingrédients que le carillon sonne annonçant un client.

« - Dring, dring ! » salue Léo.

Je pouffe et glisse ma tête vers le comptoir pour voir un ado fraîchement sorti de ses cours du samedi matin lever un sourcil avant de commander.

« - Euh, bonjour, je voudrais une quatre saisons s’il vous plait. »

L’air de rien Léo note et m’envoie le bon puis encaisse le garçon. Je prépare la pizza et mon ami me rejoint en cuisine pour l’enfourner ; la pelle est trop difficile à manier pour moi.
Une fois fait, Il s’adosse au mur, les bras croisés, et attend la fin de la cuisson.

Pendant ce temps, je mets un peu d’ordre sur le plan de travail en ricanant.

« - Ca va, tu rigoles bien ?

- Oh oui ! Je vais me régaler aujourd’hui !

- La prochaine fois que tu auras un gage crois moi, tu vas le regretter.

- Oui, oui. En attendant, continue de me faire rire. »

Je m’approche et lui applique un peu de sauce tomate qui tâche ma main sur le bout de son nez.

« - Voilà. Un vrai clown. »

Léo, prend un air consterné avant de me saisir à la taille et de me décaler quelques mètres plus loin. Je comprends qu’il veut accéder au four.

« - Non mais oh ! Je ne suis pas un objet !

- Ah bon ? Je croyais que tu étais un casse noix que j'avais oublié de ranger ! »

Je lève les yeux au ciel tout en lui tendant un carton.

« - C'est d'une finesse … »

D'un habile coup de pelle Léo y glisse la pizza, m'envoie un baiser dans l'air et repart en riant livrer la commande.
Je décide alors qu’il mérite que je ne lui rappelle pas la sauce tomate qu’il a sur le visage.

L’heure du déjeuner amène son lot de clients et les réactions se succèdent. D’expression surprise en remarque humoristique je redouble de rire. Les jeunes filles qui viennent parader ne s’attardent pas et nous profitons de ce moment qui n’appartient qu’à nous.

Léo semble prendre plus de plaisir qu’il ne le prétend et je n’ai rapidement plus besoin de l’obliger à quoi que ce soit pour qu’il fasse le pitre.

Je commence tout juste la préparation d’une commande que doit venir récupérer un client dans quelques minutes lorsque le carillon tinte. Inquiète du retard que j’ai pris je décide de faire la pizza à même la pelle pour gagner quelques secondes.

Ce faisant, je prête l’oreille et écoute la conversation. L’homme, d’un ton tendu, parle une langue que je ne comprends pas. Je devine aux sanglots que sa voix couvre qu’il n’est pas seul.

« - Dring, dring ! » lance Léo.

Dans un fort accent slave l’homme demande une bouteille d’eau.

« - Dring, dring ! » répond Léo.

« - Tu te moques ? Nabijasz się ze mnie ? Tu crois que j’ai envie de rigoler ? »

Quand Léo répond à nouveau avec le bruit du réveil je comprends que la situation va rapidement dégénérer et abandonne aussitôt la cuisine pour rejoindre mon ami. Dans ma précipitation je renverse la pelle et son contenu au sol. Les quelques secondes qu’il me faut pour reprendre mes esprits et me frayer un passage jusqu’au comptoir, suffisent à l’homme pour empoigner Léo par le col et le tirer à lui.

Py.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant