« - Excusez moi Monsieur, je suis vraiment désolée il y avait un problème dans le RER.
- Mademoiselle … ?
- Louis. Claire Louis.
- Mademoiselle Louis, c’est la dernière fois que je tolère ce genre d’incident. Pour aujourd’hui je vous note comme présente mais la prochaine fois ce sera pour les rattrapages qu’il vous faudra être à l’heure.
- Entendu. »
Elle s’installe à une place devant et je lui fais parvenir discrètement mon cahier avec les réponses.
Le cours se déroule sans encombre. Sur le grand tableau vert, le prof dessine des réactions chimiques qu’il explique à grand renfort de flèches. Je surveille ma complice mais suis rapidement rassurée de voir qu’elle joue correctement le jeu.
J’aurais cru qu’elle continuerait ses révisions mais elle semble suivre assidument le cours. Un peu trop au goût de mon portefeuille car Grinsek narcissisé par cette attentive auditrice n’hésite pas à la solliciter. Si les premières fois mon cœur bondit, craignant d’être démasquée, ce sont ensuite mes dents qui se mettent à grincer en voyant mes économies fondre.
L’usurpatrice enchaîne les réponses, heureusement de façon correcte, et régulièrement frotte son pouce à son index en ma direction, me signifiant la majoration de mon ardoise. A la dixième intervention de sa part je gémis un peu trop fort.« - Il y a-t-il un problème ? »
Grinsek s’est arrêté, la craie à la main et le sourcil froncé. Il scrute la classe à la recherche de sa victime. Son regard se pose sur moi et dans une grimace que je devine être un sourire il me dit :
« - Oh. Quelle excuse inconvenante allez vous me présenter cette fois ci pour justifier d’interrompre mon cours ? Vous avez une diarrhée cataclysmique ? Une furonculose fulgurante ? Une mycose foudroyante ? »
Je m’empourpre et murmure :
« - Je vous prie de bien vouloir m’excuser. Je n’ai pas fait attention, je trouvais l’exercice difficile. »
Il s’avance vers ma place. La salle reste silencieuse et regarde le professeur progresser en ma direction. Tous les regards sont sur moi quand il me tend sa main.
« - Votre cahier d’exercice. »
Un frisson me parcourt l’échine. Evidemment, je ne l’ai pas, il est entre les mains de la fausse Claire. D’une petite voix je dis :
« - Je l’ai oublié… »
Je vois la colère monter en lui.
« - Allez donc au tableau mademoiselle. Si vous n’avez pas la bienséance de venir avec vos travaux ni de vous tenir correctement en cours, j’ai celle de respecter mon engagement de formation. Nous allons donc revoir ensemble ce qui vous fait tant souffrir. »
Je me lève et me rends au tableau.
Par chance, je maîtrise suffisamment le chapitre pour ne pas me ridiculiser plus aujourd’hui. Je finis le cours debout devant mes camarades, à faire l’assistante du professeur qui me libère finalement pour le prochain cours, non sans m’avoir préalablement chargée de devoirs supplémentaires.
A la sortie de la salle je retrouve mon acolyte qui m’attend le sourire aux lèvres.
« - Merci d’avoir joué le jeu. Ça va me coûter cher cette affaire, je te dois combien finalement ?
- On en était à deux cents euros quand tu m’as volé la vedette. Dommage, j’aurais pas dit non à plus. Tu me payes en espèces ou tu veux me faire un virement ?
- En espèces … Je peux te payer petit à petit ? Genre cinquante euros par semaine ?
- Pas de problème mais je te fais un taux d’intérêt à 10 %.
- T’es sûre que t’es en fac de bio et pas en finance toi ? Donne-moi ton RIB, je te vire ça aujourd’hui et on en parle plus.
- Comme tu veux. »
Nous échangeons nos coordonnées : son RIB contre mon numéro de téléphone - ma partenaire n’a visiblement pas l’intention d’oublier ma dette -, et je pars en direction de mon prochain cours en croisant les doigts pour qu’aucun autre prof n’ait la géniale idée de faire l’appel aujourd’hui.
Par chance, pour le reste de la matinée tous s’en tiennent à l’habituelle feuille d’émargement que je peux signer sans frais.
Je suis confortablement installée en TD d’analyse structurale des biomolécules quand je sens mon téléphone vibrer.
Je n’ai pas besoin de regarder pour savoir qu’il s’agit de Léo. J’ai complètement oublié de lui envoyer un message aujourd’hui.
Pourtant comme presque tous les lendemains de soirée il doit être en retard et avec une fille dans son lit. C’est d’autant plus probable que je doute qu’il ait résisté au numéro de charme que lui faisait Chloé hier soir.
Je l’imagine très bien ce matin chez lui, en culotte de dentelle noire flottant dans l’un de ses tee-shirts, une tasse de café chaud à la main. Elle serait en train de visiter sa chambre, intrusant son intimité mais aussi la mienne. Riant devant les photos de nous gamins ou se moquant de Noursse, notre peluche.
Je me tends à cette idée et sens mes mâchoires se serrer.
J’essaie de me convaincre que c’est le personnage qui m’agace mais je ne suis pas dupe. Mes dernières interactions réelles ou fictives avec Léo ont pris une tonalité que je ne connaissais pas et je suspecte qu’elles réveillent un sentiment malvenu dans notre relation.
Léo est mon meilleur ami, il connaît tout de moi et moi tout de lui. Je sais trop de ses défauts et lui trop des miens. Il a grandi, c’est vrai, et il faut lui reconnaître un physique qui n’est pas désagréable mais il faut qu’il reste pour moi le garçon de dix ans qui me consolait ou ce collégien fripon que je sermonnais. Parce qu’à ses yeux je sais que je ne reste que Py, l’adolescente renfermée, maigrichonne et mal fagotée, qui attire la douleur et le malheur.
Je peux fantasmer une idylle dans mes rêves mais pas empiéter sur sa réalité. Il m’a suffisamment aidée pour que je lui laisse le droit d’être tranquille.
Je m’oblige à détendre mes mâchoires et à sourire pour aborder son message dans les meilleures dispositions.
« J’étais à l’heure ce matin ! Tu vois, pas besoin de gage, les bisous suffisent ! »
Je souris douloureusement. S’il savait ce qu’il m’inflige cette fripouille.
« Très bien, tu passeras le bonjour à Chloé ! »
Je range mon téléphone bien qu’il vibre. Je n’ai pas le cœur à lire sa réponse.
VOUS LISEZ
Py.
General Fiction"Mes rêves blessent et tuent. J'en suis convaincue. Toute lésion survenue dans mon sommeil se produit dans la réalité. Malheureusement pour tout le monde j'ai une imagination débordante et cela conduit souvent à des catastrophes dont l'absurdité ne...