37. Couleur

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Je me redresse et secoue doucement l’épaule de Léo qui grogne en fronçant les sourcils. Il est encore trop tôt pour que j’insiste. Je me lève précautionneusement et vais me préparer. Lorsque je fais couler mon café, le bruit de la machine finit par le faire émerger.

- Moi aussi j’en veux un, me marmonne-t-il.

Je lui tends la tasse que je viens de remplir et m’en remplis une autre.

Il s’assied sur le lit, le cheveu fou et la paupière lourde, pour boire son café. Un pli du drap marque son visage.

- J’étais mort d’inquiétude hier, qu’est-ce qu’il s’est passé ?

- Je suis désolée, je me suis endormie dès que je suis rentrée, j’étais épuisée…

- J’ai vu ça… Quand je suis arrivé je t’ai retrouvée écroulée sur le lit. J’ai même dû t’enlever tes chaussures !

- Oui, ces derniers jours ont été bien chargés, je crois que j’étais à bout de forces.

Il marque une pause, pour boire une gorgée, et ma lance par-dessus sa tasse :

- C’était quoi l’imprévu hier ? Rien de grave j’espère ?

Je secoue la tête en souriant.

- Non, non. J’ai juste noué mes premières relations amicales. Justine et Claire m’ont proposé de manger avec elles et j’ai accepté.

Léo me regarde, surpris. Je hoche la tête, assez fière de moi et lui raconte alors ma journée de la veille. Il me caresse la tête avec humour et tendresse.

- C’est bien, la petite Py commence à avoir des copines, bravo !

Un frisson parcourt mon échine et mon sourire retombe.

- Je t’ai dit d’arrêter de m’appeler comme ça !

Il soupire tout en s’adossant au mur.

- Ecoute. J’ai compris tes craintes et tes choix mais y’a des limites. Je ne vais pas changer ni ton surnom ni quoi que ce soit à notre relation. Déjà parce que je ne veux pas, et puis parce que ça ne ferait qu’attirer les soupçons s’il devait y en avoir.

Je suis obligée de reconnaître la logique de son dernier argument.

- Bon, d’accord, mais essaie au moins de pas le crier à tout bout de champ…

- Okay, madame la parano… souffle-t-il en levant les yeux au ciel.

J’abandonne l’idée de le convaincre du bienfondé de mon inquiétude, échaudée par nos dernières conversations sur le sujet.

Après avoir vidé nos tasses, enfilé nos manteaux et embrassé Milo, nous prenons le chemin de nos occupations respectives.

Je me presse sur les derniers mètres pour rejoindre la fac. J’ai TD avec Grinsek ce matin et il est hors de question que j’arrive en retard. L’enfer de la semaine dernière m’a suffi pour toute une vie.

Dans la salle surchauffée les étudiants transitionnent en douceur du réveil à la journée de cours. Assis sur un bout de table ou le dossier d’une chaise, certains boivent leur café et quelques filles finissent de se maquiller. Justine et Claire sont déjà installées et dans le brouhaha général, j’entends qu’elles débattent des tenues les plus avantageuses pour leur sortie de samedi soir. Je m’assieds à leur côté et sors mes affaires de mon sac.

- Et toi, tu vas mettre quoi ? me demande Claire.

Je n’ai pas le temps de répondre que Grinsek entre et ferme la porte derrière lui. Le silence se fait aussitôt et chacun regagne sa place.
Il sort sa feuille de présence et commence à faire l’appel. Au nom de Claire, il la dévisage et fronce les sourcils. Mon cœur fait alors un bond dans ma poitrine. Ma complice de la semaine dernière n’a rien comparable avec mon amie. L’une est menue, la peau claire et des cheveux sombres, l’autre est pulpeuse à la peau caramel et à la chevelure blanche.

- Mademoiselle Louis ?

- Oui ? demande-t-elle ingénument.

- Vous êtes… différente… non ?

Elle fronce à son tour les sourcils avant de s’exclamer, subitement éclairée :

- Ah ! Oui ! J’ai changé de couleur de cheveux ! Merci d’avoir remarqué !

Toute la salle éclate de rire, sans qu’aucun des deux protagonistes de cette saynète n’en comprenne le motif réel. Grinsek, gêné, s’empresse de reprendre l’appel et de débuter la correction des exercices.

A l’heure du déjeuner nous convenons avec les filles de nous retrouver à la cafétéria. Je dois rendre mes devoirs supplémentaires à Grinsek et je ne veux pas les retarder. Après quelques remarques acerbes, faute de pouvoir trouver une erreur dans mes travaux, il me libère.
Dans le couloir, je croise Nathan.

- Salut ma belle, tu veux que je remplace tes webtoons ce midi ?

- Bien tenté mais j’ai d’autres plans.

- Tu peux les élargir à trois pour que je vous rejoigne ?

Je prends un air consterné pour lui répondre.

- Le club est déjà complet et on prévoit des activités bien différentes de ce que tu peux t’imaginer.

- Mais tu ne vas pas me laisser tout seul !

- Je te vois rarement sans compagnie…

Je m’attends à le voir sourire mais il prend un air dépité. Je m’arrête et demande :

- Qu’est-ce qu’il y a ?

Il marmonne :

- D’habitude le mardi on mange ensemble…

Je réalise alors qu’il dit vrai. Sous couvert de rencontre fortuite, chaque semaine nous nous retrouvons pour déjeuner. Je pense à mes amies qui m’attendent et grimace.

- On fera ça la semaine prochaine non ? Je sais que ça fait un gros stock de blagues lourdingues à contenir mais tu devrais y arriver.

Il ne rit pas à ma pique. Je relance :

- Sérieusement ?

Il regarde ses pieds et hausse les épaules.

- C’est juste que je voulais te parler de quelques trucs…

Je soupire et envoie un message à Justine pour décommander notre déjeuner.

- Allez, viens, on va se chercher un sandwich pendant que tu me racontes tes histoires.

Py.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant